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l’honneur pendant toute cette fête de me qualifier de marquis français, et de me suivre pour m’inquiéter à toutes les places où je me retirais pour m’entretenir avec des personnes à qui j’avais à parler. Je crus m’en débarrasser en lui disant à l’oreille de se tranquilliser jusqu’au lendemain ; mais bientôt, le voyant s’adresser à M. de Schwverin et s’approcher très brusquement de lui, je le pris fortement par le bras pour le faire se ressouvenir du respect qu’il devait à son général, et que c’était à un autre qu’il avait affaire. »


Cependant toute la compagnie se retire : Chasot donne la main aux dames, et sitôt libre s’empresse de revenir à son major.


« Je rentrais pour lui faire compagnie, lorsqu’en me demandant si j’étais sorti pour commander mon cercueil, il me porta, à un pas de la porte que j’avais fermée, et sans me laisser le temps de me mettre en garde, un coup de sabre à la tête qui m’atteignit à la tempe droite, et fendit d’outre en outre mon chapeau, garni d’un point d’Espagne très fort en argent, ce qui diminua la force de ce coup mortel. Je tirai mon sabre, et bientôt le combat fut à mon avantage. Après avoir d’un coup de sabre emporté l’éguillette et parsemé la salle des lambeaux de son uniforme, je n’ambitionnais que la satisfaction de désarmer un homme plus grand et qui se croyait plus fort que moi. Je lui avais déjà fait faire le tour de la salle jusqu’auprès d’un fourneau, où je voulus lui arracher le sabre de la main ; mais le pied me glissa, et je reçus un coup de pointe dans le bras droit qui perça jusqu’à l’os. La douleur que j’en ressentis m’anima trop contre mon adversaire, auquel j’eus le malheur d’enlever le crâne d’un coup de sabre contre la porte où j’avais reçu ma première blessure, et où il tomba raide. »


Chasot écrivit au roi, ne lui demandant d’autre grâce que celle de faire examiner et juger son duel avec toute la sévérité possible, mais en même temps « suppliant sa majesté de se ressouvenir qu’elle seule avait donné lieu à cette malheureuse affaire. » Frédéric prit très mal la chose, et voulut absolument y voir une sorte de complot des officiers du régiment de Baireuth contre un militaire qu’il avait très souvent honoré de sa faveur. « On en veut aux étrangers, écrivait-il à cette occasion au général Schwerin, et c’est un parti-pris de leur rendre la vie impossible dans mon armée. Eh bien ! justement Bronickowski sera remplacé dans les rangs par un officier de sa nation, et j’entends que ces messieurs qui se mêlent de faire de l’opposition sachent une fois pour toutes que c’est moi qui suis le maître, et que je puis placer qui il me plaît ! » Traduit devant un conseil de guerre, Chasot fut acquitté à l’unanimité : mais le roi, intraitable jusqu’au bout, mit en marge de la sentence : « Un an de forteresse à Spandau. »

Chasot passa deux mois à soigner ses blessures tout en méditant sur l’instabilité des amitiés royales, et le printemps venu, il se mit en devoir d’obéir.