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espérés. Enfin jamais crise n’a été plus grande que la mienne; il faut laisser au temps de débrouiller cette fusée, et au destin, s’il y en a un, à décider de l’événement. Le jeu que je joue est si considérable, qu’il est impossible d’en voir l’issue avec sang-froid. Faites quelques vœux pour le retour de mon heureuse étoile. » Et ailleurs, presque à la même date : « J’ai jeté le bonnet par-dessus les moulins; je me prépare à tous les événemens qui peuvent m’arriver. Que la fortune me soit contraire ou favorable, cela ne m’abaissera ni m’enorgueillira, et s’il faut périr, ce sera avec gloire et l’épée à la main ! » Le plan du roi était de se tenir tranquille en Silésie et d’y attendre les mouvemens de ses ennemis, résolu à se porter à leur rencontre avec toutes ses forces, et à provoquer une bataille décisive pour savoir qui, des Hohenzollern ou des Habsbourg, resterait à l’avenir maître de cette province. Toutes les mesures avaient habilement été prises pour amener dans la plaine les Autrichiens et les Saxons, et Frédéric voyait avec joie leurs marches se combiner au gré de sa tactique. On devait livrer bataille le 4 juin. La veille au soir, l’envoyé de Louis XV, M. Le marquis de Valori, se fait annoncer chez le roi pour lui donner la nouvelle de l’occupation de Tournay par l’armée française. Frédéric reçoit le marquis dans sa tente; puis, après avoir entendu son rapport : «Je vous en fais mon compliment, » dit-il, et il ajoute avec un accent dont la précision double l’autorité de ses paroles : « J’espère que demain j’aurai de bonnes nouvelles à mander au roi. Les ennemis sont où je les voulais, et je les attaque demain. »

Ainsi se leva cette glorieuse journée de Hohenfriedberg. Jamais on n’avait vu plus belle matinée de printemps. Après avoir dormi quelques heures enveloppé dans son manteau, Frédéric tint conseil un peu avant l’aurore; les généraux avaient à peine rejoint leurs divers postes, que déjà grondait la canonnade. L’affaire fut chaude, et malgré les avantages obtenus d’abord par le duc de Brunswick, l’ennemi, soutenu par de nombreux renforts, avait fini par maltraiter les bataillons prussiens de telle sorte qu’on pouvait les croire arrivés à ce degré d’exténuement où il devient facile de calculer combien de minutes va durer encore la résistance. Tout à coup les fanfares éclatent, le sol frémit sous les pieds des chevaux. Hourra! ce sont les dragons de Baireuth qui chargent comme la tempête; le sabre au poing, les voici qui accourent en formant deux colonnes : Schwerin commande l’une, à la tête de l’autre galopent le général Gessler, et près de lui Chasot, qui n’a garde de manquer une si belle fête. L’infanterie autrichienne est pourfendue et culbutée ; deux mille cinq cents prisonniers, plus de soixante drapeaux conquis, l’armée alliée regagnant éperdue les montagnes d’où la veille elle