Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-il, le voici! » La lutte s’engage acharnée, terrible, inégale, car l’intrépide chevalier voit à chaque seconde croître le nombre des assaillans. Il se bat comme un lion, et son courage n’est rien auprès de l’incroyable habileté qu’il déploie à parer les horions qui pleuvent sur sa tête. Encore s’il les évitait tous ! mais dans le nombre il suffit d’un qui porte, et celui-là, vigoureusement assené par une lourde latte de cuirassier, va le jeter à bas de sa monture, lorsque fort heureusement ses amis arrivent pour le tirer d’embarras. Deux minutes plus tard, et c’en était fait. On emporte Chasot tout sanglant; sa blessure est profonde, mais le roi est sauvé! Frédéric n’a que des transports de reconnaissance, des hymnes d’action de grâces pour cet héroïque compagnon, proposé pour le moment à l’admiration universelle de l’armée, et dont Voltaire se chargera plus tard de célébrer la gloire en vers détestables :

Il me souvient encor de ce jour mémorable
Où l’illustre Chasot, ce guerrier formidable,
Sauva par sa valeur le plus grand de nos rois.
O Prusse, élève un temple à ses fameux exploits!

On n’éleva point de temple à Chasot, mais on le fit chevalier de l’ordre pour le mérite, et on le nomma major du régiment des dragons de Baireuth. Chasot avait alors vingt-six ans, et son dévouement ne devait pas en rester là. Tout le monde connaît l’histoire de la seconde campagne de Silésie au commencement de l’année 1745. L’Autriche s’était liée, par le traité de Varsovie, avec l’Angleterre, la Hollande et la Saxe; les deux puissances maritimes avaient promis de fournir à Marie-Thérèse les subsides nécessaires à une vigoureuse reprise d’hostilités contre la Prusse. Grande fut donc alors la perplexité de Frédéric, qui, de quelque côté qu’il regardât, n’apercevait que des ennemis. La France, en dépit d’un bon vouloir énoncé mainte fois, semblait ne se pouvoir résoudre à attaquer l’Autriche, et à Saint-Pétersbourg un parti très nombreux, qui tirait ses inspirations de la cour de Vienne, se flattait d’amener avant peu l’impératrice Elisabeth à se déclarer ouvertement, elle aussi, contre la maison de Brandebourg. Le roi ne se faisait aucune illusion sur l’état des choses, et sentait qu’il n’avait à s’en remettre désormais qu’à ses propres forces. Un moment l’idée lui vint de s’adresser à Louis XV, pour lui demander son appui; mais lorsqu’il fallut envoyer la lettre, Frédéric hésita, son orgueil se raidit, et plutôt que de consentir à cette démarche, il aima mieux affronter seul la coalition. « La situation présente est aussi violente que désagréable, écrit-il de Neisse, le 19 avril 1745 à son ministre, M. de Podewils. Mon parti est tout pris. S’il s’agit de se battre, nous le ferons en dés-