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fièvre, car j’ai besoin de ma machine, et il en faut tirer à présent tout le parti possible. » Sitôt l’arrivée de Schwerin et de Podewils, on tint conseil, et les conférences ayant duré cinq jours, pendant lesquels le roi ne parut pas une seule fois à la table de la reine, on se sépara, et les ministres retournèrent à Berlin sans que personne entrevît le résultat des délibérations. Frédéric cependant avait tout combiné d’avance en prévision de l’avenir, et ce qui devait se passer n’allait être que la réalisation de plans dès longtemps médités, témoin cette lettre que dès le 27 octobre il adressait à Algarotti : « Une bagatelle comme est la mort de l’empereur ne demande pas de grands mouvemens. Tout était prévu, tout était arrangé. Ainsi il ne s’agit que d’exécuter des desseins que j’ai roulés dès longtemps dans ma tête. »

De ces beaux desseins, le plus profondément enraciné, le plus vivace, c’était l’occupation immédiate de certaines provinces sur lesquelles, dans la pensée de Frédéric, la maison de Brandebourg avait les meilleurs droits à faire valoir. Le 23 décembre 1740, l’armée prussienne entre en Silésie, et treize mois après, à la fin de janvier 1742, le pays tout entier lui appartient. On raconte que lorsque le feu roi, dans un moment d’exaspération, s’avisa de vouloir condamner son coquin de fils à mort, le comte de Seckendorff, ministre d’Autriche à la cour de Berlin, remua ciel et terre pour sauver le jeune prince, dont l’intempérant monarque finit par lui accorder la grâce en grommelant ces paroles prophétiques : « Vous le voulez, soit; mais souvenez-vous bien de ce que je vous dis aujourd’hui : l’Autriche ne sait point quel serpent elle réchauffe là. » Et en effet mieux eût valu, pour la fortune des Habsbourg, que la sentence s’accomplît. A dater de ce jour, l’aigle de Prusse prend son vol et ne s’arrête plus. En vain les balles sifflent dans l’air, en vain les traits s’enfoncent dans ses robustes ailes : s’il tombe farouche et sanglant sur le sol, c’est pour se relever aussitôt, plus fier et plus menaçant dans la défaite que dans la victoire. Tandis que Frédéric s’agitait ainsi de corps et d’âme pour sa gloire et l’agrandissement de ses états, ses amis autour de lui ne s’endormaient pas, et le prince Léopold d’Anhalt-Dessau, comme le chevalier de Chasot, comme tous les autres, tâchaient de suffire à la besogne qu’on leur taillait. A la bataille de Mollwitz, la cavalerie ennemie ayant culbuté l’aile gauche de l’armée prussienne, Frédéric s’efforçait de rallier les fuyards, lorsque tout à coup lui et les quelques amis qui formaient en ce moment son état-major se virent investis par un groupe de cavaliers autrichiens. « Le roi, messieurs! où est le roi? « s’écriait déjà l’officier ennemi, croyant tenir son prisonnier. À ces mots, Chasot, entraîné par une inspiration soudaine, s’avance résolument : « Vous demandez le roi,