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tentement que cette application et ces lumières lui causaient. » Il paraît même qu’à dater de cette époque de meilleurs rapports s’établirent entre Frédéric-Guillaume et son fils, et qu’on entendit beaucoup moins parler de ces déplorables querelles domestiques qui avaient si cruellement assombri les années de jeunesse du prince royal. Revenu à des sentimens tout paternels, le roi semblait désormais se faire un plaisir de rendre hommage aux saisissantes facultés de son fils, et à mesure que le vieux maître, courbé sur sa canne, s’acheminait en maugréant vers sa fin, les intimes confidens de son petit cercle l’entendaient grommeler volontiers entre ses dents qu’on ne savait pus tout ce qu’il y avait dans Frédéric. A cet heureux changement dans les manières de Frédéric-Guillaume envers son fils vinrent bientôt se joindre d’autres favorables circonstances, qui projetèrent sur les années suivantes du jeune prince un bien-être, un calme jusqu’alors ignorés, et qu’il ne devait ultérieurement plus retrouver.

A trois milles environ de Neu-Ruppin s’élève, au sein d’une nature pittoresque, la jolie petite ville de Rheinsberg, célèbre, ainsi que tant d’autres cités de la Marche, par l’hospitalité que, lors de la révocation de l’édit de Nantes, elle offrit à des colonies d’émigrés français, dont quelques-uns s’y établirent définitivement. Sur les bords du beau lac si délicieusement entouré de riches collines boisées, on voyait à cette époque les ruines d’un vieux burg appelé Klingenberg. Combien de fois, pendant qu’il avait son quartier à Ruppin, le prince Frédéric s’était plu à diriger ses promenades à cheval du côté de cet aimable Rheinsberg ! Le site et les environs le charmaient tous les jours davantage et possédaient le secret de le distraire des occupations uniformes et des monotones plaisirs de la vie de garnison, si bien que l’idée lui vint d’y installer sa demeure. Frédéric-Guillaume accéda pleinement à ce vœu, et quelques mois après le mariage de son fils avec la princesse Elisabeth de Brunswick-Bevern, le domaine de Rheinsberg, acquis à beaux deniers comptans par les ordres du roi, fut retourné de fond en comble et reconstruit de nouveau sous la direction du baron de Knobelsdorff, vieux reître qui avait déposé le harnais militaire pour se vouer entièrement à l’architecture et à la peinture. Tout cela fit qu’aux premiers jours de l’été de 1736 le château se trouvait en état d’être habité, et qu’au mois d’août le prince et la princesse vinrent y fixer leur résidence et s’y installer avec leur cour et leur chapelle, dont le célèbre maestro Graun dirigeait la musique. Le 4 septembre, le roi et la reine de Prusse voulurent consacrer par leur présence l’inauguration du château. Pendant trois jours, les chasses, les concerts et les feux d’artifice se succédèrent sans interruption; puis,