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reculent toujours ; là, dans les croyances du moyen âge, était situé le paradis, et la Grèce elle-même, aux plus beaux jours de son existence, cherchait l’idéal du bonheur dans des régions qu’habitaient en réalité la barbarie et la misère.

Un siècle après Strabon et Mêla, la science de la terre faisait un grand progrès avec Ptolémée, et la géographie mathématique donnait une base certaine aux découvertes des voyageurs. On pourrait croire qu’à la suite de cet homme, en qui se résume la science géographique de l’antiquité, la connaissance du globe va multiplier ses progrès ; mais les Barbares envahissent le monde, le moyen âge abandonne les conquêtes des anciens, la terre n’est plus ronde : la géographie ne sait plus invoquer que les témoignages de Moïse, du roi David et des pères de l’église. Le moine égyptien Cosmas, que ses lointains voyages ont fait surnommer Indicopleustés, s’applique à démontrer que croire la terre sphérique est une hérésie. Le seul système qui puisse concilier les apparences, l’Écriture sainte et les récits des voyageurs, le voici : la terre est une plaine oblongue entourée d’une muraille supportant la voûte de cristal que nous appelons firmament. Au-delà roule le cortège des constellations, et le soleil circule à l’intérieur autour d’une haute montagne qui produit les alternatives du jour et de la nuit. Ce beau système n’obtient pas une approbation unanime. Le moine anglais Bède le Vénérable imagine bientôt que la terre est placée au milieu du monde comme le jaune au milieu de l’œuf ; elle est enveloppée d’eau comme le jaune est enveloppé de blanc ; puis vient l’air, qui en est comme la membrane, et le feu comme la coquille. Avec sa comparaison étrange, celui-ci fait du moins un retour vers la sphéricité. Virgile de Saltzbourg va plus loin : il suppose un hémisphère austral avec des habitans, un soleil, une lune, des saisons, tout un autre monde ; mais l’église jugea qu’il touchait à l’hérésie.

C’est ainsi qu’au fond de leur retraite monacale nombre d’hommes, obéissant aux instincts de curiosité qui ont toujours animé l’Occident, s’efforçaient de pénétrer l’ordonnance de la terre. Seulement, détournés de la voie scientifique, lente et certaine, sur laquelle l’antiquité restait délaissée, dépourvus des notions qui auraient pu diriger leur raisonnement, tremblant de ne pas concilier leurs systèmes avec les Écritures, ils cherchaient au hasard et croyaient, dans leur présomptueuse ignorance, tout régler par quelque bizarre invention. Vers le commencement du ix siècle, un de ces moines, le plus ignorant peut-être et le plus naïf de tous, se trouva posséder à sa discrétion, dans un monastère de Ravenne, des trésors de science, cartes et livres, qui sans doute venaient du grand Théodoric. Il voulut être savant ou du moins le paraître ; il réunit et