Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le docteur gravit le plus vite qu’il put l’escalier disloqué. Rendu sur le palier de l’étage supérieur, il tendit la main à la tante Mariana, qui se dégagea avec quelque peine de sa position difficile. Sans écouter ni les remerciemens ni les explications de la duègne, qui se vantait un peu tard d’avoir seule prévu la catastrophe, il courut vers l’appartement des deux jeunes filles. La porte s’était ouverte d’elle-même. Dans un coin de la chambre, il aperçut Luisa, qui tenait dans ses bras sa sœur Mercedès, et cherchait à la préserver de la chute des planches déjà presque détachées du plafond.

— Sauve-toi, ma sœur, disait Mercedès, sauve-toi si tu veux, et laisse-moi mourir. Je ne tiens pas à la vie !… D’ailleurs tu n’es pas de force à me garantir.

— Ô âme trois fois hautaine ! murmura le docteur ; toujours du dédain, et de la tendresse… jamais ! — Il saisit dans ses bras doña Mercedès, un peu effrayée de le voir paraître, et malgré sa résistance il l’emporta sçus un hangar légèrement construit qui était resté debout. Luisa et la tante Mariana l’y rejoignirent aussi.

— Et mon père ! s’écria doña Luisa, notre pauvre père, l’oubliez-vous, docteur ?

À ce mot, doña Mercedès, redressant la tête, s’était levée avec impétuosité. Elle s’avançait hardiment vers l’aile de la maison qu’habitait son père. Arrachée au sentiment égoïste de son chagrin, elle sentait le besoin de braver un grand péril et de faire une action courageuse. doña Luisa partait avec elle, et la tante Mariana voulait aussi la suivre. Le docteur les retint toutes les trois : — Don Ignacio n’a point été oublié, dit-il avec assurance ; quelqu’un a volé à son secours tandis que je songeais à vous sauver.

Pendant que les trois dames, rassurées par la présence du docteur Henri, se tenaient blotties sous le hangar, don Agustin pénétrait, non sans peine, jusqu’auprès de don Ignacio, emprisonné au fond de son appartement par un amas de planches et de solives qui l’enveloppaient comme une palissade. La terre ne tremblait plus, tout danger avait cessé de ce côté ; mais la maison, ébranlée jusque dans ses fondemens, craquait encore et s’affaissait toujours.

— Plus vite si c’est possible, disait l’hidalgo ; qui donc est là ? Est-ce toi, Pedro ? est-ce toi, Manuel ?… Bah ! tous ces lâches serviteurs se sont enfuis au moment du danger. Ils nous ont abandonnés ici… Et mes filles, mes pauvres filles !…

— Elles sont en lieu de sûreté, don Ignacio, répondit le jeune homme ; je les ai vues traverser la cour et s’abriter sous un hangar. Il y a quelqu’un près d’elles.

— Brave homme, tu me rends deux fois la vie, reprit don Ignacio, qui aidait son libérateur à déblayer le passage. Tu seras récompensé de ta peine… Hélas ! ma maison est en ruines. C’est une