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— C’est un temblor[1], vous dis-je, reprit vivement don Agustin, et dans une heure ce sera peut-être un terremoto. De grâce, cher docteur, hâtons-nous !

— Soyez franc, don Agustin ; n’est-ce point un prétexte que vous inventez pour entrer avec moi sous ce toit ?…

Por amor de Dios ! s’écria don Agustin, il s’agit bien de prétexte !… Ne sentez-vous pas sous vos pieds l’ébranlement du sol ?… Encore une fois, partons avant que les chevaux épouvantés refusent de se laisser conduire.

Le docteur, ayant jeté un regard sur son baromètre, put se convaincre qu’il avait considérablement baissé. Dans la rue s’agitait déjà avec une sourde rumeur la population en émoi, qui observait le ciel assombri et chargé de nuages. Il fit seller son cheval en toute hâte, et sortit au galop, accompagné de don Agustin, qui éperonnait vivement sa monture et criait aux passans de se ranger. Les deux cavaliers avaient dépassé le faubourg de l’Almendral avant que de nouvelles secousses se fussent fait sentir. Tout à coup leurs chevaux inquiets se cabrèrent en frémissant, la terre trembla avec force, et du côté de la ville retentirent les cris de la foule éperdue, qui sortait des maisons en criant : Misericordia, misericordia !

— Si j’avais autant de mille piastres qu’il se fait à cette heure de signes de croix à Valparaiso, je serais bien riche ! dit don Agustin. Demain matin, on comptera dans la ville plus d’une église lézardée, plus d’une maison écroulée… Écoutez le bruit des vagues qui semblent s’agiter avec frayeur et répondre aux clameurs des hommes !…

Le docteur entendait parfaitement le triple bruit de la mer soulevée, de la terre qui tremblait, et des habitans qui se lamentaient ; mais, les écarts de son cheval lui faisant craindre à chaque pas d’être lancé sur les pierres de la route, il ne répondait rien,

— Eh bien ? reprit don Agustin, vous restez en arrière ! Ah ! votre cheval est un vieux routier qui sent le péril ! Le mien est un peu plus jeune et partant plus hardi. Si vous voulez, nous les laisserons tous les deux à la première maison qui se rencontrera, et nous continuerons à pied notre course.

— Soit, dit le docteur ; mon pauvre vieux poney trébuche comme s’il était ivre…

Les deux cavaliers confièrent leurs chevaux à des gens de la campagne qui se tenaient assis hors de leur demeure, sur le bord de la route, et priaient la tête nue ; puis ils continuèrent leur route à pied. La course leur paraissait bien longue à tous les deux ; il y avait des

  1. On nomme ainsi, au Chili et au Pérou, les frémissemens qui précèdent un tremblement de terre, terremoto.