Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune docteur tint bon ; décidé à courir les mers à ses risques et périls, il s’embarqua en qualité de médecin à bord du Méridien, prêt à mettre à la voile pour un voyage de deux années, vingt-cinq personnes, en y comprenant le maître cook et son aide, composaient tout le petit monde au milieu duquel vivait le docteur. Lorsque le navire stationnait dans un port, il lui restait du loisir pour faire des excursions dans les terres et rassembler les élémens d’une collection de minéraux, de plantes et d’insectes. Durant les traversées, il avait le temps de mettre en ordre les objets de toute sorte recueillis par ses soins. Quant aux malades, il les tenait là sous sa main, et n’avait qu’à passer de la dunette à l’avant du navire pour leur tâter le pouls. Ainsi, tout en naviguant d’un pôle à l’autre, le jeune médecin trouvait l’occasion de cultiver la science et de rendre service à ses semblables. Eût-il mieux fait dans sa petite ville ? Non, sans doute ; il n’y eût pas non plus joui d’une plus complète indépendance. À bord du Méridien, nul concurrent jaloux ne le troublait dans l’exercice de ses fonctions, et tous les habitans du navire le traitaient avec égard, parce que tous avaient besoin de lui. Les braves marins qu’il soignait avec une égale sollicitude dans le calme et dans la tempête ne s’étaient jamais occupés de savoir son nom ; ils le nommaient simplement le docteur. Au Callao et à Valparaiso, où on le connaissait beaucoup il y a vingt-cinq ans, on l’appelait le docteur Henri.

Parti d’Europe par la route du cap de Bonne-Espérance, le Méridien devait y rentrer en doublant le cap Horn, et c’était à Valparaiso qu’il était venu mouiller pour prendre de l’eau douce et des vivres. Ces préparatifs demandaient du temps ; le docteur Henri mettait à profit cette longue relâche en explorant les environs. Un jour, monté sur un cheval au pas rapide et sûr, il avait gravi les premières rampes qui dominent la ville et la rade de Valparaiso. À sa gauche se creusaient des ravins profonds, aux flancs desquels pendent, la tête en bas, de vieux palmiers déracinés par les tremblemens de terre. Quelques plateaux légèrement inclinés vers l’ouest et coupés de rocs à pic se déroulaient devant lui : paysage étrange et saisissant, qui donne un avant-goût de ces pittoresques campagnes du Chili, formées de rians vallons et de plaines verdoyantes que traversent et hérissent en tous sens des montagnes aux sommets aigus et des croupes prolongées à l’infini, s’élevant toujours et par degré jusqu’à la région des Andes neigeuses. Sur toute cette côte, le sol, bouleversé par des cataclysmes anciens, offre l’aspect d’un affreux désordre ; c’est un pêle-mêle de lignes brisées qui présente l’image du chaos, et pourtant, comme le climat est doux, comme les ruisseaux murmurent dans le fond des vallées et entretiennent au milieu des rochers une végétation vigoureuse, l’œil est