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vieille loyauté aux trompeuses caresses de grands seigneurs mécontens, rentraient volontiers dans les sages limites de leur institution, satisfaits d’avoir vu le gouvernement reconnaître ce qu’il y avait de légitime dans leurs griefs, et s’engager à respecter leur juste et nécessaire indépendance. L’aristocratie se trouvait encore bien heureuse de s’être ainsi tirée de cette dernière défaite. Elle laissait, il est vrai, sur le champ de bataille quelques-unes de ses prétentions féodales, mais en échange on lui prodiguait les titres, les honneurs, la richesse, et sa vanité pouvait au moins consoler son ambition. La fortune de Mazarin ouvrait aussi les yeux sur son mérite. On ne pouvait s’empêcher d’applaudir à sa constance et à sa capacité. Malheureux, on n’avait vu en lui qu’un second Concini; victorieux, c’était un autre Richelieu sous lequel il fallait bien fléchir, mais qu’on pouvait servir honorablement, parce qu’après avoir montré qu’il était aussi ferme sur les principes de l’état que son impérieux devancier, il n’affectait point la tyrannie, et loin de faire sentir le poids de sa puissance, il s’efforçait plutôt de la dissimuler sous de flatteuses paroles, ne montrait pas le moindre ressentiment des injures passées, tendait la main à qui venait à lui, écoutait toutes les plaintes un peu légitimes, entrait dans toutes les prétentions un peu raisonnables, et semblait disposé à fonder son gouvernement sur des concessions habiles et non sur d’inutiles rigueurs. On croyait à son étoile, on se fiait à sa modération, on s’empressait de participer à son triomphe. Déjà un Vendôme, un petit-fils d’Henri IV, avait épousé une de ses nièces ; la plus fière aristocratie allait bientôt se disputer toutes les autres, et le persécuté de la fronde allait placer sa famille sur les marches du trône. La solennelle réception que le roi et la reine firent à Mazarin au Louvre, le 3 février 1653, n’était donc pas une vaine cérémonie. Ce jour-là, Mazarin put comprendre qu’une ère nouvelle se levait pour lui, aussi brillante et plus sûre que celle de 1643, après la défaite du parti des importans, et que cette halte stérile et sanglante dans la route des réformes et dans la marche civilisatrice de la royauté qu’on appelle la fronde était enfin et pour toujours terminée.


VICTOR COUSIN.