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lice du parlement en 1652 et 1653, désignant à Mazarin les amis solides qu’il devait hautement récompenser, les amis douteux qu’il fallait s’attacher davantage, les anciens ennemis qu’on pouvait gagner, et ceux qui étaient trop dangereux pour être épargnés. Cependant l’homme qui servit le plus Mazarin dans tette œuvre de nécessaire sévérité et de judicieuse indulgence fut sans contredit le premier président Matthieu Molé.

Rappelons ici du moins les principaux traits de cette grande figure. Le fils d’Edouard Molé avait par-dessus tout l’esprit et le cœur magistrat. Il aimait sincèrement la vérité et la justice, et son âme droite et ferme craignait Dieu plus que les hommes. Sa piété était profonde, sans aucune ombre de superstition. Ami de Saint-Cyran et de Bérulle, il était au plus haut degré gallican, il défendit constamment la cause de l’université et n’aimait point les jésuites. Sorti d’une famille parlementaire, entré de bonne heure dans la compagnie, il en avait toutes les maximes, et il en chérissait les privilèges. Il avait peu de goût pour les états-généraux, et le parlement était à ses yeux le véritable sénat destiné à servir d’appui et de contrôle à la royauté. Il était né sénateur pour ainsi dire, et nul jamais, à Rome ou ailleurs, ne fut mieux fait pour représenter un grand corps. Sous Louis XI, il eût été Jacques de La Vacquerie. Sa vie privée était simple et grave. Il avait reçu du ciel l’âme la plus conforme à son esprit, sereine, calme, intrépide, et le dedans se réfléchissait admirablement au dehors dans un corps sain et robuste et dans une figure où la force était empreinte[1]. Sa parole était concise et ferme, sans nulle élégance, et son ton presque toujours celui du commandement et de l’autorité jusque dans la vie ordinaire. Voilà ce qui a porté plus d’un historien à représenter Matthieu Molé comme un homme tout d’une pièce; mais en général les hommes ne sont pas ainsi faits, et la nature avait mieux traité Matthieu Molé que ne l’ont fait ses panégyristes. Il avait en effet beaucoup d’esprit et de finesse, et il était loin de manquer d’ambition. Il avait appris de son père Edouard à faire sa route à travers les nécessités les plus diverses. Comme lui, il eût accepté d’être le procureur-général de la ligue, sauf à travailler ensuite au rétablissement de la royauté légitime. De bonne heure il avait fait l’apprentissage de la patience et de la longanimité, et Richelieu l’avait accoutumé à faire fléchir quelquefois ses maximes de magistrat sous l’empire des circonstances. Sa jeunesse

  1. On connaît par les deux admirables portraits de Nanteuil et de Mellan le président du parlement de la fronde dans sa verte vieillesse, avec son aspect imposant et sa majestueuse barbe blanche; mais il faut voir le procureur-général Matthieu Molé tel que l’a gravé Michel Lasne : nulle figure ne donne plus l’idée de la force ; c’est la tête de Corneille et de Saint-Cyran.