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laissa discuter à Paris, pendant près de deux années, ses vues administratives et financières; mais il désespérait de se faire comprendre d’un corps de magistrats qui la veille jugeaient des procès de mur mitoyen, et le lendemain voulaient traiter avec lui de la paix et de la guerre, sans la moindre connaissance de la France et de l’Europe. Aussi, au lieu d’écouter tranquillement leurs doléances, de supporter, et d’user leur résistance, cet impérieux génie préféra la briser, et s’emporta en une suite de mesures illégales et violentes que ses ennemis ont justement relevées, et que nous-même nous condamnons hautement, n’admettant pas du tout que l’excellence d’une cause autorise tous les moyens. Richelieu crut pouvoir se conduire envers le parlement comme envers l’aristocratie, et en cela il eut grand tort, car, l’aristocratie opprimant la nation autant qu’elle entravait la royauté, il avait contre elle l’appui de la nation et de l’opinion, tandis que le parlement, par ses attributions judiciaires, qu’il remplissait admirablement, était populaire et méritait de l’être. Non-seulement Richelieu brava ses remontrances, mais il fit souvent casser ses arrêts par le conseil d’état; il lança des lettres de cachet contre ceux de ses membres dont l’opposition le gênait le plus, et les exila loin de Paris; il enleva à sa juridiction d’illustres accusés, et les fit juger par des commissions extraordinaires, par exemple le maréchal de Marillac, dont le procès pèse encore sur la mémoire du cardinal, et mêle des ombres sinistres à l’admiration que nous inspire la grandeur de son caractère et de ses desseins. Tantôt il amenait le roi au parlement, pour faire enregistrer de force certains édits; tantôt il faisait venir au Louvre, et dans la chambre même du roi, un certain nombre de membres pour leur arracher la condamnation à mort du duc d’Épernon[1]. Comment s’étonner que tous ces actes de tyrannie eussent amassé dans le sein du parlement une colère et des haines qui éclatèrent après la mort de Richelieu? Le parlement vit avec peine arriver à la tête du gouvernement un des disciples et des favoris du redouté cardinal, et un assez grand nombre de parlementaires, poussés par les grands seigneurs qui siégeaient avec eux, se jetèrent dans la faction des importans. On ne peut reprocher à Mazarin les violences de son devancier. Pas une seule fois il ne renouvela les commissions extraordinaires du règne passé; il respecta toujours la juridiction du parlement, et c’est à cette juridiction qu’en 1643, dans la tentative d’assassinat formée contre sa personne et qui est aujourd’hui bien démontrée, il remit le procès de Beaufort et de ses complices; il souffrit même que le parlement, moins instruit ou plus indulgent que l’histoire, décidât qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour condamner. La seule

  1. Voyez les Mémoires d’Omer Talon.