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glante, nulle ombre de liberté, ni civile ni religieuse, l’oppression des catholiques, l’Irlande mise à feu et à sang, toutes les divisions et les extravagances du calvinisme victorieux, la prison et l’échafaud de Charles Ier, les sombres intrigues et la tyrannie de Cromwell. Voilà le spectacle que donnait alors l’Angleterre : en vérité il n’était pas contagieux, et le triste rôle que joua l’aristocratie anglaise à cette époque n’était guère propre à séduire la nôtre.

Pour revenir à l’aristocratie française, il est certain qu’elle ne laisse paraître aucun autre dessein dans la fronde que de ressaisir la puissance qu’elle exerçait à la fin du XVIe siècle, et à laquelle Richelieu avait porté de si rudes coups. L’altier cardinal, patriote et despote, comme l’a très bien dit M. Guizot, eût tenté peut-être d’exterminer par l’épée cette nouvelle conspiration comme il avait fait les précédentes ; peut-être il eût relevé pour les chefs des importans et des frondeurs l’échafaud de Chalais, de Montmorency et de Cinq-Mars. Son habile successeur s’y prit d’une façon plus douce et plus sûre. Voyant qu’il avait affaire, non pas à des principes, mais à des intérêts, il entreprit de les gagner en s’adressant successivement à chacun d’eux. Il négocia donc avec ces illustres mécontens, et les acquit l’un après l’autre, en leur accordant à peu près ce qu’ils demandaient, sans rien céder des droits de la royauté, sans rétablir des pouvoirs indépendans, incompatibles avec l’idée naissante de l’état, mais en faisant à propos des concessions nécessaires, plus apparentes qu’effectives, en prodiguant des titres un peu vains et de brillans honneurs de cour, et en se réservant la puissance réelle à lui-même et au roi qu’il représentait. Le traité que fit Mazarin avec les Bouillon et les Vendôme est l’image de ceux qu’il finit par conclure avec tous les autres grands seigneurs de la fronde. Il leur dit en quelque sorte : «Vous désirez l’agrandissement de votre maison et de votre fortune, vous avez raison; seulement vous vous trompez de chemin : celui de la révolte ne peut plus vous réussir comme autrefois; la fidélité et la soumission vous réussiront mieux. Les temps sont changés. Une faible royauté vous avait laissés usurper sur elle ce qu’ensuite elle s’efforçait de vous reprendre; une royauté forte vous donnera sans retour, sous des formes un peu différentes, presqu’autant que vous n’avez jamais eu.» Un pareil langage, qui eût été repoussé en 1648, dans le premier enivrement de l’espérance, était fait pour être écouté dans la lassitude qu’amènent à leur suite les agitations stériles. Mazarin a cette gloire unique que, dans sa longue carrière, parmi les dangers les plus capables de le pousser à de violentes représailles, et quelquefois dans une prospérité qui lui promettait l’impunité, il ne fit monter sur l’échafaud aucun de ses plus acharnés ennemis, pas même ceux qui avaient voulu l’assassiner; il n’en proscrivit aucun, et il les gagna presque tous par des