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doyaient et commandaient eux-mêmes, pouvant ainsi former dans l’état bien des états différens et entraîner les populations dans leurs querelles, comme si ces populations leur appartenaient, ayant à leur solde de petits gentilshommes qui les servaient comme des rois, et eux-mêmes toujours prêts à tirer l’épée contre le roi, si le roi ne les contentait pas, et même à conspirer avec l’étranger, les catholiques avec l’Espagne, les protestans avec l’Angleterre. Depuis les premières années du XVIIe siècle, ils s’étaient sentis plus particulièrement menacés, et tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, selon les circonstances, ils s’étaient efforcés d’arrêter ou de suspendre les progrès de l’esprit nouveau. De là ces célèbres révoltes des grands, diverses dans leurs moyens, toujours dirigées vers le même but. La fronde est la dernière de ces révoltes.

Le premier ancêtre des frondeurs est le maréchal de Biron, sous Henri IV. Vient ensuite la ligue des princes, Marie de Médicis à leur tête, contre le connétable de Luynes; puis, sous Richelieu, Mme de Chevreuse, Chalais, Rohan et Soubise, les Vendôme, Henri de Montmorency, le comte de Soissons et le duc de Bouillon. Croyez-vous par hasard que ce soient là des patriotes méconnus par l’histoire, des philosophes et des démocrates qui ont payé de leur défaite le noble tort d’être venus avant le temps? On aurait bien fait sourire ces grands seigneurs et ces grandes dames, ou plutôt on leur aurait fait horreur, si on leur eût parlé des principes qui ont fait battre le cœur à nos pères, et qu’il nous a fallu conquérir avec des flots de notre propre sang. Lorsqu’en 1641, pour ne point remonter plus haut, le comte de Soissons et le duc de Bouillon levèrent à Sedan l’étendard de la révolte en s’appuyant sur l’Espagne, et livrèrent à la royauté la bataille de La Marfée, ils ne rêvaient point la liberté et l’égalité future, l’accessibilité de tous à tous les emplois, l’impôt proportionnel, l’émancipation de la bourgeoisie et du peuple : ils songeaient à l’agrandissement de leurs maisons; ils se proposaient le démembrement du pouvoir royal au profit de principautés indépendantes. L’insurrection de 1641 s’est renouvelée en 1642. Le duc d’Orléans et Cinq-Mars traitent encore avec l’Espagne, et c’est encore le duc de Bouillon qui est l’âme et l’épée de l’entreprise. Que voulait Bouillon? Nous l’avons vu : vainqueur, sa principauté de Sedan se serait étendue en une sorte de petit royaume; vaincu, il perdit sa principauté et cessa d’être un souverain féodal, un vassal indépendant. Après la mort de Richelieu, que prétendaient ceux qui s’opposèrent à l’établissement de son successeur? Quel objet poursuivait en 1643 la faction des importans? Il n’y a point à s’y tromper : c’est bien la même cause, car ce sont les mêmes hommes. Ici tous les voiles sont levés, et nous avons mis dans une irrésistible lumière les intentions, les desseins, les intrigues des importans;