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avait été d’avis de seconder l’effet de l’amnistie de la nouvelle de son éloignement momentané, afin de ne laisser aucun prétexte à ceux qui si souvent avaient promis de se rendre, s’il quittait le royaume. Sûr du jeune roi, plus sûr encore de sa mère, leur laissant ses instructions et des conseillers éprouvés, Mazarin s’était effacé, et s’était retiré d’abord à Bouillon, un peu au-delà de la frontière; puis, à mesure que le gouvernement du roi se consolidait à Paris, il s’était rapproché et était venu à Sedan; puis il était allé ouvertement rejoindre l’armée royale, amenant avec lui de puissans renforts, des munitions, des vivres, de l’argent. Admirablement servi par Turenne et par La Ferté-Senneterre, il avait forcé la petite armée de Condé et celle du duc de Lorraine de battre en retraite peu à peu du côté des Pays-Bas. Actif, résolu, infatigable, il n’avait pas hésité à prolonger la campagne au-delà de ses limites ordinaires, jusqu’à la fin de décembre et même jusqu’en janvier 1653. Il n’avait quitté l’armée qu’après avoir vu l’ennemi abandonner le territoire français et avoir mis la frontière de Champagne et de Picardie à l’abri de tout retour offensif. C’est alors seulement qu’il avait établi ses troupes dans leurs quartiers d’hiver, et que lui-même, précédé et soutenu par ces solides succès, il avait pris le chemin de Paris.

Il y avait à peu près deux ans qu’il en était sorti, en février 1651, objet de la haine universelle, condamné par le parlement, proscrit par l’aristocratie, presque maudit par le peuple, et ne sachant où il trouverait un lieu pour reposer sa tête. Le 3 février 1653, il y fit une rentrée vraiment triomphale. Le jeune roi, accompagné de son frère, le duc d’Anjou, alla plus d’une lieue au-devant de lui, le reçut avec les plus grandes tendresses, le fit mettre dans son carrosse, et ils entrèrent ensemble, à côté l’un de l’autre, par la porte Saint-Denis, à deux heures après midi, en grande pompe, à travers les flots joyeux et les cris d’allégresse de ce même peuple qui, deux ans auparavant, le poursuivait de ses imprécations. Le cardinal fut ainsi conduit jusqu’au Louvre, où l’attendait Anne d’Autriche.

Il la revit, cette reine admirable, que l’histoire, abusée par les écrivains imposteurs de la fronde, a trop méconnue, cette amie courageuse, exemple unique entre toutes les reines, et presque entre toutes les femmes, d’une fidélité à l’épreuve de l’une et de l’autre fortune; qui de bonne heure, en 1643, avait reconnu les grandes qualités de Mazarin et discerné en lui le seul homme capable de bien conduire les affaires de la France; qui, après lui avoir dû cinq longues années de gloire, l’avait en 1648 et 1649 défendu contre l’aristocratie, le parlement et le peuple réunis; qui plus tard n’avait consenti à sa retraite que parce que lui-même l’avait jugée nécessaire; qui pendant son absence avait résisté à toutes les séductions