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assez, c’est qu’il était interdit à l’auteur de Mademoiselle Mariette de savoir écrire. La raison en est simple : il ne se propose d’autre but que l’exacte et complète reproduction des choses réelles. Or le style réside souverainement dans le choix des idées et des expressions, et M. Champfleury s’est volontairement fait l’esclave de la réalité, qu’il ne se permet ni de modifier ni de transformer, ignorant ou voulant ignorer que l’art des modifications ou des transformations imposées à la réalité est ce qui constitue la qualité d’écrivain, avant même de constituer le talent. M. Champfleury, qui paraît si ennemi et qui se moque si agréablement de ce qu’en langage d’atelier on appelle le style poncif, ne possède guère que cette espèce de style. Il fait plus qu’il ne le croit lui-même suite aux Drolling et aux Duval Le Camus. Quand il comprendra ce résultat, il en sera certainement au désespoir. Ses ouvrages ont en somme beaucoup de rapport avec le genre adopté par M. Henri Monnier : c’est le même soin précieux et méticuleux, la même confusion du grotesque avec le ridicule, et le même amour de petits détails superflus, qui ont chez M. Champfleury le tort de ne point se rattacher à la situation qu’il expose.

La moindre étude dans la réalité serait encore de l’art; mais ici ce n’est pas même la réalité, c’est la trivialité, pour ne pas dire plus quelquefois. La lecture des Amoureux de Sainte-Périne laisse une impression fâcheuse de tristesse et de dégoût. Le précédent ouvrage de M. Champfleury, la Succession Le Camus[1], permet au moins qu’on l’examine dans quelques-uns de ses détails. C’est une scène de la vie de province. Elle peut se résumer en deux mots : la domination exercée sur une vieille dame par sa demoiselle de compagnie, et les platitudes de quelques cousins et cousines, ses inévitables héritiers. Sans être bien neuf, le sujet laissait cependant carrière à de curieux développemens. M. Champfleury n’est arrivé à construire sur sa donnée qu’une fable assez peu intéressante. On retrouve dans cette œuvre beaucoup de ces détails locaux, de ces imperceptibles ridicules, de ces murmures à peine distinctifs, qui demandent, pour être observés et traduits, plus de patience que de talent. Malheureusement il n’y a là qu’une succession de petites scènes artificiellement reliées, indépendantes les unes des autres, et qui constituent autant de hors-d’œuvre séparés. L’auteur était pourtant placé sur son terrain. Un tel sujet comportait une série de portraits, une variété d’appétits brutaux, une lutte d’intérêts dont M. Champfleury n’a saisi que le côté grotesque et mesquin, au lieu d’en creuser le ridicule profond qui est de tous les temps et de tous les pays. Il ne nous fait assister ni à un drame, ni à une véritable comédie; il ne sort pas des limites de l’esquisse ou de la caricature.

Pourquoi donc M. Champfleury, qui a de réelles qualités de conteur, se fait-il ainsi la victime d’une mauvaise thèse? Il est observateur, il peint avec délicatesse certaines affections, et il a parfois le sentiment du véritable comique. C’est la vanité d’un faux système qui l’a donc entraîné; il se trompe lui-même plus qu’il ne cherche à tromper les autres. Contenu dans la nouvelle, son talent eût sans doute produit des œuvres agréables; il eût été, avec plus de grammaire et moins de trivialité, un de ces écrivains qu’on

  1. 1 vol. in-16, Cadot.