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temps après le naufrage de 1848 le plus éloquent et le plus aimable de ses rivaux, il était notre Périclès. » On retrouvera dans le second volume des Mémoires quelques-unes de ces belles pages d’enseignement politique où la mâle simplicité du langage resserre si fortement l’énergie de la pensée, semblables à ces morceaux d’éloquence sculpturale qui arrachaient à l’adversaire du grand orateur le généreux témoignage que nous nous plaisons à reproduire. Nous ne pouvons essayer d’apprécier ici le second volume des Mémoires. Il nous semble d’ailleurs que, pour porter un jugement équitable et complet sur la carrière politique de M. Guizot, il faut attendre l’entière publication du livre où il s’est chargé de la retracer lui-même. Nous n’avons pas besoin de dire l’intérêt historique et politique qui s’attache aux deux années du règne de Louis-Philippe qu’embrasse ce second volume. C’est la révolution de juillet dans son exubérance que commencent à contenir, à fixer, à diriger, le roi avec sa pénétration et sa prudence revêtue d’aimable et spirituelle bonhomie, et l’énergique Casimir Périer, cet homme d’état qui, jeté dans une grande convulsion politique, se trouva « doué, ainsi que disait M. Royer-Collard, de ces instincts merveilleux qui sont comme la partie divine de l’art de gouverner. » Les événemens, les hommes, les systèmes politiques se pressent dans le volume de M. Guizot. Le mouvement des esprits et des choses y est peut-être, suivant nous, traité avec trop de sobriété ; pour reproduire ces époques agitées, pour en rendPe le sentiment et la vie, peut-être un historien coloriste et abondant à la façon de Macaulay réussirait-il mieux qu’un austère dessinateur. Les physionomies personnelles sont retracées avec plus de bonheur : avec quelques traits, sans appuyer, M. Guizot a fait des portraits très fins du général Lafayette, de M. Lafiitte, du roi Louis-Philippe. L’exposition des systèmes politiques est la partie excellente et tout à fait supérieure du livre ; nous signalerons, entre autres, dans ce genre les belles pages qui ouvrent le chapitre intitulé : Casimir Périer et la paix. Nous parlons surtout de la forme de ces exposés, car sur les systèmes de M. Guizot, malgré l’autorité de l’écrivain et la justesse habituelle de ses vues, nous nous permettrions d’émettre certaines dissidences, si nous avions à les juger. Nous regrettons par exemple les tendances excessives de cette politique de résistance trop durement accusée que nous voyons poindre dès le lendemain de la révolution. M. Guizot annonce noblement qu’il sera sévère pour lui-même ; si, dans la suite de ses mémoires, il avoue que la politique de résistance avait fini par rendre si étroite la base de la monarchie de juillet qu’elle n’a pas pu, malgré l’honnête et glorieuse popularité de son origine, y conserver son aplomb, s’il reconnaît que sur le terrain de la liberté la conciliation était possible non-seulement entre la monarchie et ceux qu’une méprise qui n’a pas survécu à sa chute avait rendus ses adversaires apparens, mais entre la monarchie et la démocratie intelligente et progressive, M. Guizot aura légué aux générations présentes et à l’avenir une leçon féconde. Hélas ! bien peu d’années après 1830, la politique de résistance laissait voir ses périls aux observateurs les plus pénétrans. « Ayons plus de confiance dans notre pays, s’écriait en 1835 M. Royer-Collard, rendons-lui honneur. Les sentimens honnêtes y abondent ; adressons-nous à ces sentimens. Ils nous entendront, ils nous répondront. »