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M. Dumas fils et de M. Augier, les deux représentans les plus sérieux de l’art dramatique contemporain, et qu’il ne nous restait presque rien à dire. En eux, en eux seuls à peu près, se résument bien nettement la situation et les tendances du théâtre à l’heure où nous écrivons. Avec M. Dumas fils, la réalité crue, cynique, brutale, déjà maîtresse dans les domaines du roman, fait son entrée triomphale au théâtre. Tous ceux qui, de près ou de loin, essaient de s’inspirer de la réalité ne sont que des copistes plus ou moins maladroits de ses sèches et vigoureuses photographies. Avec M. Augier, l’art élevé et les traditions littéraires essaient de lutter contre cette invasion violente de la réalité : lutte habile, et non sans gloire, que le poète, à moitié gagné à la cause de ses adversaires, déclare lui-même inutile, et à laquelle il renoncera bientôt pour passer, avec le Mariage d’Olympe et les Lionnes pauvres, dans le camp ennemi. Ainsi un seul mot suffit pour caractériser la situation du théâtre contemporain : par ses deux plus habiles interprètes, il proclame le triomphe définitif, irrécusable, de la réalité. Il y a bien encore les tentatives désespérées des derniers sectateurs de l’école romantique, qui continuent à proclamer les droits souverains de la poésie au théâtre, et qui prétendent qu’un drame doit être une succession d’élégies, d’odes et d’idylles, cousues les unes aux autres tant bien que mal, une succession de chants alternés comme les églogues de Virgile; mais ces tentatives sont aussi stériles que désespérées, et nous avons regret de voir de jeunes poètes consacrer à défendre une cause perdue des facultés précieuses qui méritent de trouver un meilleur emploi d’elles-mêmes. En dehors de M. Dumas fils et de M. Augier, en dehors de M. Octave Feuillet et de M. Jules Sandeau, le théâtre contemporain ne nous offre que le spectacle de la plus complète impuissance : rien, mais rien, pas le plus petit relief d’ortolan, pas le plus petit grain de mil à offrir à nos lecteurs, pas une seule obole dont l’effigie nette et bien frappée nous oblige à rendre hommage au monnayeur. J’ai lu et relu, avec une attention qui méritait une meilleure récompense, une vingtaine de pièces choisies des deux dernières années : inutile labeur! j’ai déjà tout oublié. Ma mémoire ne me rappelle pas un mot, pas une scène, pas un caractère. Les actions les plus insignifiantes de chaque journée qui passe laissent une plus longue trace dans le souvenir. J’ai ressenti l’impression qu’éprouve le promeneur qui s’est engagé trop avant sur une bruyère stérile ou dans une lande sablonneuse; il appelle la vie de tous ses désirs, et regarde avec une ardente curiosité s’il n’apercevra pas quelques marques de la puissance créatrice. Une touffe d’herbes, le chant d’un grillon, un reptile qui s’enfuit à votre approche, les objets les plus infimes seront les bienvenus dans un tel