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ductions dramatiques beaucoup plus que de toutes les autres branches de la littérature.

Est-ce un reproche que nous adressons à la critique hebdomadaire des feuilles quotidiennes? Pas le moins du monde. En agissant comme ils le font, les journaux restent dans leur rôle, qui est celui d’informateurs publics. Le public ne veut pas savoir seulement si la pièce est bonne ou mauvaise; il veut savoir encore si les acteurs sont divertissans, si les actrices sont jolies, si les décors sont beaux. En un mot, il veut savoir s’il y a pour lui une raison quelconque de se déranger, et si en échange de son argent on lui donnera un plaisir, quel qu’il soit. La multiplicité complexe des intérêts engagés dans le métier dramatique ne permet donc pas aux théâtres de se passer des recommandations de la presse, et cela est si vrai que les comptes-rendus hebdomadaires ne leur suffisent pas, et qu’il leur faut comme à l’industrie des feuilles spéciales toutes dévouées à leur service. Ces intérêts sont fort recommandables sans doute, mais ils nous laissent assez froids, nous devons l’avouer, car ils ne touchent que fort indirectement aux intérêts de la littérature. Pour nous, le théâtre représente simplement une des formes de l’art, une des manifestations de la pensée humaine; le directeur, l’acteur, le costumier, le décorateur, nous sont parfaitement indifférens, ou pour mieux dire nous ne les connaissons pas. Dans le théâtre, nous ne connaissons que l’auteur; c’est à lui seul que revient le privilège de nous occuper.

Nous disions que les journaux étaient dans leur rôle en acceptant l’espèce de servitude que leur imposent les «théâtres, parce qu’ils sont avant tout des informateurs publics. Un journal sans compte-rendu théâtral hebdomadaire serait en effet aussi incomplet qu’un journal sans faits divers et sans compte-rendu judiciaire. Ils sont dans leur rôle, tâchons par conséquent de rester dans le nôtre. Si les théâtres sont une affaire d’industrie, renvoyons la question aux économistes. Si c’est une affaire de morale administrative et de bonne police, laissons la censure s’occuper d’eux à notre place. Si on les considère comme une affaire de divertissement, ils nous intéressent beaucoup moins encore; nous n’avons aucune raison de nous faire les ciceroni des plaisirs publics, et d’informer les oisifs des lieux où ils peuvent aller passer leur soirée plus ou moins agréablement. Les intérêts seuls de la littérature ont donc le droit de nous toucher. Réduite à ces termes, la question devient très simple, et notre devoir est tout tracé. Nous devons faire pour le théâtre ce que nous faisons pour toutes les autres branches de la production intellectuelle. La librairie met au jour chaque semaine des centaines de volumes ; où en serions-nous, nous et nos confrères de la presse, s’il