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yeux de la France et à ceux de son mari. Après tout, n’ayant pas travaillé pour elle-même, on peut la féliciter d’avoir conservé jusqu’au bout le lustre incomparable, la gloire unique du désintéressement.

Toutes les conditions que nous venons d’énumérer pouvaient être acceptées sans danger: mais la partie épineuse de la transaction proposée était dans les articles relatifs à Mazarin. Ils étaient assez modérés, sans être pourtant bien rassurans. D’un côté, on souhaitait que le cardinal sortit présentement du royaume, et de l’autre on promettait de consentir de bonne foi à tout ce qui lui serait avantageux et même à son retour dans trois mois; il était même dit que M. Le Prince ne signerait la paix qu’après le retour du cardinal. Ainsi la condition préalable était dure, et les promesses un peu vagues. Mazarin croyait à la loyauté de Condé, mais il avait fait l’expérience de ses hauteurs, de ses exigences impérieuses et sans cesse renaissantes. Il craignait avec raison de se remettre entre les mains d’un homme qui n’avait pas toujours le gouvernement de lui-même, et dont il était difficile d’être bien sûr, parce que, ne poursuivant pas un objet bien déterminé, on n’était jamais certain de l’avoir définitivement satisfait. Mazarin ne se pressa donc pas de répondre, et, trop habile pour ne pas accepter la négociation, il s’appliqua à la tirer en longueur. Il en trouva une fort bonne raison. Le duc de Bouillon, si considérable et par lui-même et par son frère Turenne, élevait des prétentions sur le duché d’Albret, qui appartenait aux Condé. Il fallait avant tout résoudre cette difficulté. Cependant le voyage de Gourville n’avait pas été si secret qu’il ne fut venu aux oreilles de Retz. Celui-ci comprit sur-le-champ qu’il était perdu et tout son plan renversé, si Mazarin et Condé s’entendaient. Il se mit donc promptement à l’œuvre : il peignit au duc d’Orléans la négociation entamée comme une trahison envers lui et la ruine de toute son autorité; il lui persuada de parer le coup qui le menaçait en faisant à Mazarin de bien meilleures conditions que M. Le Prince, et le duc de Damville, intermédiaire ordinaire du duc d’Orléans et de la cour, fut envoyé en secret à la reine pour l’engager à ne rien conclure avec Condé, l’assurant que Monsieur souhaitait seulement avoir le mérite de la paix, qu’il était prêt à se rendre de sa personne auprès du roi, et à donner un exemple qui serait suivi par le parlement et par le peuple de Paris. Des propositions aussi flatteuses ne pouvaient manquer d’être prises en très grande considération, et elles devaient beaucoup refroidir pour celles qu’avait apportées Gourville. On n’en voulait pas davantage; on se réservait de voir ensuite jusqu’à quel point on tiendrait la parole donnée.

C’est ainsi que le palais d’Orléans répondait à l’hôtel de Condé,