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aveuglé, il aurait repoussé avec mépris les indignes accusations qu’on osait élever contre elle, comme il avait fait en 1643 dans l’affaire des lettres que lui attribuait Mme de Montbazon[1]. Jamais femme en effet ne fut naturellement moins portée à la galanterie qu’Anne de Bourbon ; elle aimait les hommages, mais les plaisirs des sens ne l’attiraient point[2]. Il est certain qu’elle ne fut pas le moins du monde touchée des agrémens du beau duc de Nemours[3], et La Rochefoucauld, qui l’avait bien étudiée, ne trouva pas de plus sûr moyen de la séduire que de flatter sa passion innée pour la gloire et pour la grandeur. Là étaient à la fois la faiblesse et la force de Mme de Longueville, le principe de sa coquetterie parmi les amusemens de la paix comme de son intrépidité au milieu des plus tragiques aventures. Sa fierté nourrissait l’espérance de voir un jour les Condé remplacer les d’Orléans, et lorsqu’en 1650 Monsieur eut un fils, le petit duc de Valois, elle s’affligea d’un événement qui menaçait d’affermir et de perpétuer une maison qu’elle n’aimait point, et dans une lettre jusqu’à présent restée inédite elle laisse paraître les pensées qui s’étaient glissées dans son cœur. « Je pense, écrit-elle à Lenet le 22 août 1650, que la nouvelle de la naissance du fils de M. d’Orléans ne réjouira pas plus ma belle-sœur qu’elle m’a réjouie. C’est à mon neveu qu’il en faut faire des doléances[4]. » En un mot, on peut le dire avec la plus parfaite vérité, Mme de Longueville avait pour Condé plus d’ambition qu’il n’en avait lui-même. De bonne heure le soupçonneux et pénétrant Mazarin en avait jugé ainsi, et dans les carnets où il dépose ses sentimens les plus intimes, il la représente en ennemi, mais en ennemi très bien informé. « Mme de Longueville, dit-il, a tout pouvoir sur son frère. Elle fait vanité de dédaigner la cour, de haïr la faveur… Elle voudroit voir Condé dominer et disposer de toutes les grâces… Si elle aime la galanterie, ce n’est pas du tout qu’elle songe à mal, mais pour faire des serviteurs et des amis à son frère. Elle lui insinue des pensées ambitieuses auxquelles il n’est déjà que trop porté. » Mazarin avait raison, et son témoignage est bien autrement sûr que les accusations bassement intéressées de Mme de Châtillon, de Nemours et de La Rochefoucauld, car tous les trois la noircissaient à l’envi auprès

  1. La Jeunesse de Madame de Longueville, chap. III.
  2. Confession de Madame de Longueville du 14 novembre 1661.
  3. Nous croyons volontiers à cet égard ce que dit une personne fort bien instruite et qui n’aimait pas du tout Mme de Longueville, sa belle-fille, la duchesse de Nemours, Mémoires, page 149 : « M. de Nemours autrefois ne lui avoit pas trop plu, et malgré l’attachement qu’il paroissoit avoir pour elle, aussi bien que tout ce qu’il avoit de bonnes qualités et de grands airs, elle n’a rien su trouver en lui de charmant que le plaisir qu’il témoignoit lui vouloir faire de quitter Mme de Châtillon pour elle, et celui qu’elle eut d’ôter à une femme qu’elle n’aimoit pas un ami de cette conséquence. »
  4. Bibliothèque impériale, papiers de Lenet, t. II.