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Nous connaissons un gracieux monument du pouvoir de Mme de Châtillon sur Condé. A Châtillon-sur-Loing, dans ce qui subsiste de l’antique château des Coligny, qu’Isabelle de Montmorency tenait de son mari et qu’elle laissa à son frère, dans ce salon du noble héritier des Luxembourg, aussi précieux pour l’histoire que pour l’art, où l’on voit rassemblés, à côté de l’épée du connétable Anne, le portrait de Luxembourg à cheval avec sa mine si fine et si fière, ainsi que le portrait en pied de Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, en habit de veuve, est un grand et magnifique tableau d’une main inconnue, mais qui doit être celle de Juste ou de Ferdinand, représentant une jeune femme d’une beauté ravissante, aux traits parfaitement réguliers, avec les plus jolis cheveux d’un châtain clair, et des yeux gris de l’éclat le plus doux, au cou de cygne, à la taille fine et légère, peinte de grandeur naturelle, et parée de tous les attraits de la jeunesse relevés par une exquise coquetterie. Elle est assise dans une molle attitude. Une de ses mains, nonchalamment étendue, tient un bouquet de fleurs; l’autre est posée sur la crinière d’un lion, dont la tête se montre de face, et dont les yeux flamboyans sont, à ne s’y pouvoir méprendre, les yeux terribles de Condé lorsqu’il avait les armes à la main. Voilà bien la belle duchesse de Châtillon à vingt-cinq ou vingt-six ans, et à peu près telle qu’elle a pris soin de se décrire elle-même dans les Divers Portraits de Mademoiselle[1]. La tête se détache merveilleusement[2]. On ne peut voir une figure plus gracieuse; mais elle manque un peu de caractère et de grandeur, et ce n’est pas là Mme de Longueville. Celle-ci n’était pas aussi régulièrement belle; mais elle avait un bien plus grand air, et une suprême distinction reluisait dans toute sa personne.

Mme de Châtillon et Mme de Longueville avaient été élevées ensemble, et fort liées pendant toute leur première jeunesse. Peu à peu il se mit entre elles quelque rivalité de beauté, et elles se brouillèrent tout à fait lorsque Mme de Longueville s’aperçut, après la

  1. XLe portrait de madame de Châtillon fait par elle-même.
  2. Cette tête est évidemment l’original du charmant portrait gravé de Frosne, que Moncornet a si médiocrement reproduit. — A Châtillon-sur-Loing, il y avait autrefois une ancienne maison du Temple, dont l’amiral de Coligny avait fait une sorte de collège et d’académie pour y élever des gentilshommes protestans, et que Mme de Mecklembourg transforma en un couvent où elle venait faire de fréquentes retraites. Elle fit cadeau de son portrait aux religieuses. Le couvent est devenu un hôtel-Dieu encore desservi par des religieuses, qui ont conservé avec soin le portrait donné à leurs devancières. Ce portrait subsiste parfaitement intact. C’est bien Mme de Châtillon du salon de M. Le duc de Montmorency-Luxembourg. Elle est plus âgée, mais encore bien belle. Elle a plus d’embonpoint, et la bouche est déjà moins fine. Elle est peinte à demi-corps, un peu en Madeleine, et plus tard on lui a mis une croix entre les mains. Ce morceau est d’un coloris exquis, et on l’attribue avec toute vraisemblance à Mignard.