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duel, eut la tête tranchée en place de Grève le 21 juin 1627. Elle était sœur de François de Montmorency, comte de Bouteville, depuis l’illustre maréchal de Luxembourg. Née en 1626, elle avait été mariée en 1645 au dernier des Coligny, duc de Châtillon, l’un des héros de Lens, tué au combat de Charenton en 1649. Veuve à vingt-trois ans, sa rare beauté lui fit mille adorateurs ; elle fut une des reines de la galanterie pendant toute la fronde, et même, après bien des aventures, à trente-huit ans elle séduisit encore le duc de Mecklembourg, qui l’épousa en 1664. À la beauté, Mme de Châtillon joignait beaucoup d’esprit, mais de l’esprit tourné à l’intrigue. Elle était vaine et ambitieuse, en même temps fort intéressée, médiocrement scrupuleuse, et un peu de l’école de Mme de Montbazon. De bonne heure, elle avait frappé Condé ; mais il n’y avait plus songé, tout entier à sa passion pour Mlle Du Vigean. Depuis ces nobles amours, si tristement terminées, et après l’émotion passagère que lui donna encore un moment la belle et vertueuse Mlle de Toussy, Condé étouffa ses instincts chevaleresques et dit adieu à la haute galanterie de sa jeunesse et de l’hôtel de Rambouillet ; il n’a plus eu que des attachemens légers et vulgaires, dont on n’a pas gardé le souvenir. Mme de Châtillon seule est connue pour avoir une dernière fois captivé son cœur, et cette liaison a exercé sur Condé et sur ses affaires, à l’époque où nous en sommes arrivés, une assez grande influence pour que l’histoire s’en doive occuper, si elle ne veut pas se contenter de retracer la suite et comme la figure des événemens qui se passent sur la scène du monde sans les comprendre, sans en pénétrer les causes véritables, qui résident dans le caractère des hommes et dans leurs passions. Or, de toutes les passions, il n’en est pas une plus énergique à la fois et plus étendue que l’amour. Il tient une place immense dans la vie humaine, et dans les plus hautes comme dans les plus humbles conditions. De nos jours, nous l’avons vu faire et défaire des rois. Jadis, en retenant trop longtemps César à Alexandrie auprès de Cléopâtre, il amassa sur sa tête l’orage formidable qui pensa l’accabler à Munda. Il était pour beaucoup dans la guerre qu’Henri IV allait entreprendre, lorsque la mort le vint arrêter. On ne peut s’empêcher de sourire en voyant la plupart des historiens n’en tenir aucun compte, comme d’une chose trop frivole, et le reléguer dans la vie privée, comme si la vie privée n’était pas le fond même de la vie publique, comme si ce qui s’agite dans l’âme n’était pas le principe de ce qui éclate au dehors ! Non, l’empire de la beauté ne connaît pas de limites, et nulle part il n’est plus puissant que sur ces grands cœurs qu’on appelle Alexandre, César, Charlemagne, Henri IV. On peut bien mettre Condé dans cette illustre compagnie.