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l’arrêta. La fronde semblait faite tout exprès pour lui. Il en fut un des pères avec La Rochefoucauld. En vain dans ses mémoires il met en avant des considérations générales : il ne travaillait que pour lui-même ainsi que La Rochefoucauld, lequel du moins a la bonne foi d’en convenir, et confesse qu’il se proposait d’arracher de la reine par la crainte ce qu’il n’avait pu obtenir de sa faveur. Forcé de rester dans l’église, Retz voulait y monter le plus haut possible. L’ambition de La Rochefoucauld était à l’unisson de son caractère un peu timide; s’il était sans vertu, il n’était pas sans honneur, tandis que l’ambition de Retz était, comme son audace, sans borne et sans scrupule. Il venait enfin de surprendre ce chapeau de cardinal, l’objet de ses ardens désirs, grâce à d’incroyables manœuvres et par la connivence secrète de la reine, qui avait été bien aise de l’enlever au prince de Conti. De coadjuteur devenu cardinal, il aspirait maintenant au poste de premier ministre, et pour y parvenir, voici le double jeu qu’il imagina et qu’il joua jusqu’au bout. Voyant que Mazarin et Condé n’étaient pas des chefs de gouvernement qui pussent laisser à d’autres à côté d’eux une grande importance, il entreprit de les renverser l’un par l’autre, de faire sa route entre eux deux, et d’élever sur leur ruine le duc d’Orléans, sous le nom duquel il eût gouverné. C’est pourquoi il poussait incessamment et le duc d’Orléans et le parlement et le peuple à exiger, comme la première condition de tout accommodement avec la cour, le renvoi de Mazarin, et en même temps il se portait dans l’ombre comme un bienveillant conciliateur entre la royauté et la fronde, promettant à la reine, le sacrifice indispensable accompli, d’aplanir toutes les difficultés et de lui donner Monsieur, en le séparant de Condé, que la reine craignait et détestait par-dessus tout. Tel est le vrai ressort de tous les mouvemens de Retz en apparence les plus contraires : d’abord le cardinalat, puis le ministère sous les auspices du duc d’Orléans associé en quelque sorte à la royauté, sans Mazarin ni Condé. Il a beau envelopper son secret sous un voile de bien public, ce secret éclate par les efforts mêmes qu’il fait pour le cacher, et il n’a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, son complice au début de la fronde, puis son adversaire, qui l’a parfaitement connu et l’a peint de main de maître, comme aussi Retz a très bien connu et peint admirablement La Rochefoucauld. Retz a été le mauvais génie de la fronde : il l’a toujours empêchée d’aboutir soit avec Mazarin, soit avec Condé, parce qu’il ne voulait qu’un gouvernement faible où il pût dominer. Pour arriver à son but, il était capable de tout : intrigues souterraines, pamphlets anonymes, sermons hypocrites dans la chaire sacrée, discours étudiés au parlement, émeutes populaires et coups de main désespé-