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À cette mesure déjà proposée une seule objection spécieuse a été faite en ce qui touche les colonies. On a dit : Le sucre brut le plus beau, ayant subi une plus complète évaporation, pèsera moins ; de là des chargemens moins considérables pour nos navires et un préjudice pour notre navigation. C’est là une erreur facile à combattre. Les procédés perfectionnés qui donnent les beaux sucres bruts en cristaux réguliers, diaphanes, produisent une quantité presque double. En employant le même poids de cannes à sucre, on obtient 10 pour 100 au lieu de 5 ou 6 que réalisent seulement les procédés anciens. Les chargemens des navires pour une égale surface de terre cultivée en canne à sucre dans nos colonies seraient donc évidemment plus considérables, si le plus grand nombre de nos sucreries étaient transformées.

Une dernière objection se présente : la consommation doit-elle, peut-elle beaucoup s’accroître en France ? À cet égard, le doute n’est plus permis en présence de ces deux faits constans, que chez nous la consommation du sel est encore à peu près supérieure du double à la consommation du sucre. N’est-il pas de toute évidence que ce serait la proportion inverse qui serait normale ? Alors les quantités consommées seraient triplées au moins, si les populations pauvres pouvaient régler à cet égard leur consommation sur leurs goûts et l’intérêt de leur santé. N’oublions pas d’ailleurs qu’en France la consommation du sucre est inférieure des deux tiers à la consommation en Angleterre, où pourtant elle est loin encore de se trouver également répartie entre les différentes classes de la population.

Que conclure de cet ensemble de données acquises à la science sur l’état présent, sur les développemens possibles de la production du sucre colonial ? Un premier point est à noter : c’est que l’industrie sucrière de plusieurs de nos possessions d’outre-mer est en mesure, grâce aux derniers perfectionnemens, qui sans doute se propageront dans toutes nos colonies, de lutter contre les concurrences de tout genre qui avaient paru un moment menacer son avenir. L’attention doit se porter maintenant sur les moyens d’assurer complètement cette heureuse situation. Il reste à multiplier les débouchés de notre industrie sucrière d’outre-mer, en favorisant par de sages mesures l’extension qu’a prise en France la consommation du sucre, en faisant pénétrer dans nos campagnes le précieux produit que recherchent surtout nos villes. La science est intervenue utilement pour améliorer et développer la production du sucre : c’est à l’administration maintenant qu’il appartient d’en faciliter la consommation et de rendre plus accessible à toutes les classes un des élémens les plus salubres de l’alimentation publique.


PAYEN, de l’Institut.