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des perches. Il n’est pas rare de voir des baraques, booths, ainsi complètement démolies par le vent : heureux encore si un taureau furieux, échappé d’un des districts de la foire, et trouvant peu à son goût la bordure rouge qui tapisse le devant de la tente, n’emporte point l’ornement entre ses cornes ! Les enfans, — cet âge est sans pitié, — s’amusent de leur côté à jeter des pierres pendant la nuit contre ces fragiles édifices, à quoi le showman est en droit de répondre, avec les grenouilles d’une fable anglaise : « Si c’est un jeu pour vous, pour nous c’est la mort. » Ce théâtre est en effet son seul moyen de subsistance : à l’heure où tout dort, il est obligé de veiller sur sa propriété chancelante. L’un d’eux me faisait en ces termes le récit de ses pertes : « Je possédais autrefois tout un appareil de magie, une tempête de neige et une tempête sur mer[1]. C’était une position sociale. Mais un jour mes instrumens de physique amusante furent retenus par un propriétaire inhumain ; ma tempête de neige prit feu par suite de la maladresse de mon garçon, qui approcha la chandelle trop près des pièces, et ma tempête sur l’eau fut balayée par une tempête trop réelle, qui en dispersa les lambeaux jusque sur la vraie mer. » Les intervalles des foires, plus ou moins éloignées les unes des autres, les mauvais temps, rendent l’existence du showman extrêmement précaire. Quand il pleut, on a beau souffler de la trompette jusqu’à devenir bleu et courir la ville en costume bizarre : on excite plus le rire, — je voudrais pouvoir dire la pitié, — qu’on n’attire à soi la curiosité publique. Un autre ennemi très sérieux du showman, c’est le preacher. Dans quelques foires se répandent des prêcheurs en plein vent qui distribuent pour rien des tracts et cherchent à tourner l’esprit de la multitude vers des sujets religieux. Il arrive même qu’une de ces bandes d’itinerant preachers loue pour une heure ou deux l’estrade du showman et se met à déclamer contre les amusemens profanes. Le malheureux, qui voit son industrie menacée, n’a d’autre ressource alors que de recourir au geste de Santerre et de faire battre les tambours. Malgré les luttes, les privations, les revers de fortune, il faut que cette vie d’itinerant showman ait des attraits qui attachent, car la plupart de ceux qui l’ont embrassée y persévèrent et refusent d’en sortir, même quand on leur ouvre des perspectives plus calmes.

Le personnel des foires se compose de deux classes d’individus bien distincts, ceux qui montrent et ceux qui sont montrés. Les journaux anglais, — et je suis loin de les en blâmer, — se sont intéressés dans ces derniers temps à la condition sociale des pau-

  1. Sortes de dioramas sur une petite échelle, et qui étaient très en faveur il y a quelques années dans les foires de l’Angleterre.