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sombre démon agite aux oreilles de sa victime, qu’il persécute de toutes manières, une monstrueuse sonnette; mais à peine a-t-il tourné le dos que Punch oublie son horrible cauchemar, reprend sa joyeuse humeur et entonne d’une voix calme la chanson de Jim Crow ou toute autre mélodie également folâtre. Shalla-ba-la revient; Punch tient bravement tête à son ennemi intime, et finit par le vaincre. Une telle grandeur d’âme dans l’adversité me réconcilie avec ce mythe populaire. Tout le monde a dans sa vie un Shalla-ba-la sous une forme ou sous une autre, mais tout le monde n’a pas l’admirable philosophie de M. Punch[1]. »

La vie du puppet-showman a beaucoup de rapports avec celle des autres exhibiteurs sur la voie publique; j’indiquerai seulement les caractères qui lui sont particuliers. Le personnel de ces représentations ambulantes se compose le plus souvent de deux hommes, l’un qui porte le théâtre et qui déguise sa voix au moyen d’un sifflet d’étain, l’autre qui porte la boîte de marionnettes et qui souffle de la trompette ou bat du tambour; mais pour jouer Punch and Judy avec ce que les Anglais appellent great attraction, il faut de plus une voix de femme et un chien, l’immortel chien Toby. Le puppet-showman est un philosophe, un Diogène; il se soucie médiocrement du caractère de son costume, lequel est d’ordinaire pauvre et négligé. Ne vous fiez d’ailleurs point à ces apparences de misère. Ici le gain s’appuie entièrement, il est vrai, sur les contributions volontaires; mais cette source de profits est plus abondante qu’on ne le croirait. Les joueurs de marionnettes recueillent souvent de deux à quatre shillings par chaque représentation : or dans les jours d’été, où ils jouent jusqu’à dix fois, ces deux hommes ne laissent pas d’obtenir une rémunération assez forte. Quand la collecte n’est point suffisante, ils refusent quelquefois leurs services. Le vieillard me racontait avoir vu dans une occasion semblable la toile se lever, Punch saluer l’auditoire et lui adresser la parole en ces termes : « Je n’ai jamais joué jusqu’ici pour sept pence et demi, et je ne jouerai jamais pour ce prix-là; ainsi adieu. » Et les hommes plièrent bagage.

Le gain dépend, il est vrai, en grande partie de l’habileté du puppet-showman. Il lui faut un certain esprit, du tact et la connaissance de son public. Les allusions aux événemens politiques sont le plus souvent accueillies avec faveur, et cette veine bien exploitée constitue un des élémens matériels du succès. Il y a quelques années, durant les élections, un showman mettait en scène un candidat

  1. Le caractère de Punch a servi de prototype au plus spirituel des journaux anglais. On peut également consulter les très remarquables croquis de Punch and Judy dessinés par un artiste habile, George Cruikshank.