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auquel il se découvrit, lui demanda avec inquiétude s’il n’avait pas « une abeille dans son bonnet[1]. » Dix mois s’étaient écoulés depuis que Juan de Vega avait commencé sa carrière romanesque. Il était temps d’y mettre un terme. L’habitude de parler en mauvais anglais lui avait presque fait oublier sa langue maternelle. Il redevint ce qu’il était par la naissance, M. Charles Cochrane, mais non sans regretter, du moins dans le commencement, le costume et la vie de ménestrel. Il se trouvait à la torture dans la cravate et dans les habits à la mode. Juan de Vega avait recueilli dans son tour à travers la Grande-Bretagne et l’Irlande 58 livres sterling, qu’à titre de don il adressa au comité des réfugiés espagnols. C’était un devoir, et le seul moyen de racheter ce qu’il y avait d’indélicat dans le choix d’une qualité fausse. M. Charles Cochrane rapportait d’ailleurs de son voyage quelque chose de mieux que les livres sterling : il avait appris à sympathiser avec des misères sociales qu’il ignorait jusque-là. Pour étudier à fond les classes pauvres, il faut être ou se faire pauvre soi-même. La leçon ne fut point perdue : M. Cochrane épousa plus tard une femme riche, et devint un philanthrope. C’est à lui que l’on doit quelques institutions utiles, et surtout celle des street-orderlies, qui concourt au nettoyage de la ville de Londres[2].

A côté des professions qui vivent du chant et de la musique, il y en a d’autres qui se servent bien encore de certains instrumens plus ou moins harmonieux, plus ou moins bruyans, mais seulement comme d’un moyen pour attirer, pour humaniser le public, ainsi que me disait l’un de ces industriels. Leur but est de montrer quelque chose. Nous entrons ici sur un nouveau théâtre de faits auquel se rattache la grande famille des showmen.


II.

Un jour que je remontais le Strand, j’entrevis sous un porche soutenu par quatre colonnes, et conduisant à une allée connue sous le nom de Clement’s Passage, un théâtre de marionnettes qu’on venait de poser à terre. L’endroit était bien choisi pour une représentation de ce genre, car il se trouvait à l’abri du bruit et du mouvement des voitures. Un homme assez pauvrement vêtu, coiffé d’un

  1. S’il n’était pas un peu fou.
  2. Les street-orderlies parurent pour la première fois dans les rues de Londres en 1843. M. Charles Cochrane, en formant cette société philanthropique, s’était proposé d’atteindre deux buts : la propreté, qui contribue à la santé des habitans dans les grandes villes, et l’amélioration du sort des balayeuses, dont il éleva le salaire de 7 ou 8 shillings à 12 shillings par semaine.