Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

waits; elle en parle avec ravissement comme d’une musique céleste, heavenly music. Faut-il l’avouer? Je partage jusqu’à un certain point cette admiration naïve des bourgeois de la Cité. La première fois que, sans être prévenu, j’entendis, il y a trois ans, retentir sous ma fenêtre, entre une heure et deux heures du matin, un groupe de notes ailées qui s’envolaient dans l’air froid et taciturne de la nuit, je ne savais plus trop dans quel monde mes rêves se trouvaient transportés. J’allais me rendormir, quand ce concert invisible recommença à une courte distance, et se répéta ensuite de trois maisons en trois maisons. A mesure que les sons s’éloignaient, ils prenaient plus de douceur, et revêtaient un caractère plus aérien, en harmonie avec le calme de la nature, le sommeil de la ville et la beauté du clair de lune. J’écoutais, et j’écoutais encore; mais le bruit, qui était venu comme un rêve, s’éteignait comme une vision : ce fut de moment en moment une harmonie confuse, puis un écho affaibli, puis rien. Autrefois les musiciens des waits frappaient la nuit aux portes des maisons pour réclamer le fruit de leurs peines: cet abus a été réformé. Aujourd’hui ils se présentent, la semaine qui précède le premier jour de l’an, dans les habitations particulières et chez les boutiquiers avec leur Chiristmas-box. Il est facile de deviner, d’après l’amour des Anglais pour un usage si ancien et pour une musique si bien appropriée au caractère des fêtes de Noël, que ces artistes récoltent d’ordinaire une bonne moisson.

Le musicien ambulant et le musicien errant ne diffèrent entre eux que par des nuances. Une des plus curieuses excursions auxquelles se livrent les itinerant musicians fut entreprise, il y a quelques années, par un jeune homme de Londres. Il était de bonne famille et avait reçu de l’éducation ; mais, un désappointement étant survenu dans ses affaires domestiques, il résolut, par une de ces excentricités propres au caractère anglais, d’essayer le rôle de ménestrel errant. Il parlait très couramment l’espagnol : cette circonstance détermina le caractère du personnage qu’il allait jouer. Ayant annoncé à sa famille qu’il allait faire un tour sur le continent, il se rendit chez un juif de Londres, acheta un manteau, une veste, une paire de culottes dans le style castillan, changea son nom en celui du señor Juan de Vega, et, muni d’une ballade anglaise qu’un de ses amis avait composée pour la circonstance, — the Spanish exile, — il se mit bravement en route. Les exilés espagnols étaient alors en faveur dans la Grande-Bretagne, et le ménestrel improvisé crut ajouter à ses chances de succès en se donnant comme une victime des guerres civiles. Sa physionomie se prêtait à l’espèce de roman dont il allait être le héros : il avait les yeux et la moustache noirs, le teint légèrement bronzé, la démarche fière. Son principal but, en jouant le rôle d’un