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dans la maison des riches au moyen âge l’orchestre de l’opéra ou des concerts. Seulement aujourd’hui ils se sont séparés et vont chacun de son côté. La musique des rues de Londres se compose surtout de joueurs de harpe, de guitare, de flûte, de cornet à piston et d’autres instrumens de cuivre. Je ne parlerai point ici des joueurs d’orgue de Barbarie, parce qu’ils sont tous ou presque tous étrangers. Il y a des musiciens solitaires qui parcourent la ville et les campagnes; j’ai rencontré plusieurs fois avec tristesse dans Pimlico un pauvre jeune homme d’une vingtaine d’années jouant d’une espèce de vielle qui n’a plus qu’une note : cet instrument mélancolique et monotone ne se trouve que trop bien en harmonie avec l’âme du musicien, car ce malheureux est idiot; mais le plus ordinairement les perambulating musicians vont par bandes, souvent même assez nombreuses. Ces bandes sont ou allemandes ou anglaises. Il ne faut pas les confondre avec les itinerant musicians, qui parcourent la campagne et les villes du royaume-uni. Les vrais musiciens ambulans ne quittent point la ville de Londres, si ce n’est quelquefois pendant l’été pour aller faire des excursions au bord de la mer ou ailleurs. Un caractère singulier dans la vie de ces artistes demi-nomades, c’est la régularité de leur travail. Ils se sont partagé la ville de Londres en plusieurs districts, et ils souffrent avec peine que d’autres bandes viennent chasser sur leurs terres. Leurs courses se trouvent ainsi non-seulement limitées, mais réglées: ils ont leurs jours et pour ainsi dire leurs heures pour visiter les différentes rues de leur département musical. Si la comparaison n’était beaucoup trop ambitieuse, on pourrait dire qu’ils ressemblent à des astres errans, mais dont les mouvemens vagabonds sont déterminés par une loi. Nul ne connaît comme eux la ville ou du moins les quartiers de la ville qu’ils exploitent. Je les ai vus plus d’une fois s’engager dans les labyrinthes de rues les plus emmêlées, dans les lanes pauvres et solitaires, les sombres courts, les allées étroites, les passages tortueux et inconnus même des habitans de Londres. Tout cela leur est aussi familier que l’est à l’oiseleur la partie de la forêt où il fait parler ses pipeaux. Ils savent les murs qui ont des oreilles et ceux qui n’en ont pas; ils se rendent compte en outre des airs qui conviennent à chaque quartier, à chaque rue, souvent même à chaque maison. En général ils recherchent les endroits calmes, et profitent des heures de la journée où la population ouvrière du lieu jouit d’un instant de loisir. Leur grande ennemie est la cloche des écoles ou des fabriques, laquelle, quand elle vient à sonner en plein concert, leur enlève le meilleur de l’auditoire. Le plus souvent ils sont décemment vêtus, et se distinguent par leurs manières du commun chanteur de ballades, avec lequel ils n’ont peut-être qu’un trait