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dans le monde de ces établissemens que les fenêtres ne sont pas faites pour donner passage à la lumière, mais pour intercepter l’air froid. On distingue deux classes de low lodging-houses. Il y a d’abord les maisons tout à fait basses et qui méritent ce titre à deux points de vue : sur celles-ci, il faut jeter un voile. Les écrivains anglais ou français qui ont chargé de sombres couleurs un tableau déjà trop sombre par lui-même ont plutôt fait, — je suis heureux de le dire, — l’histoire du vieux Londres que l’histoire du Londres moderne. Il existe bien encore quelques maisons de logement dans l’ancien style[1]; mais ces maisons deviennent plus rares de jour en jour : plusieurs d’entre elles ont été abattues, d’autres ont été restaurées et améliorées, surtout depuis l’acte du parlement qui, en 1851, a fait passer les common lodging-houses sous la surveillance de la police.

Comme type de la seconde classe de ces hôtels du pauvre, je choisirai le farm-house dans le Mint (Borough). La tradition veut que cette maison ait appartenu autrefois au cardinal Wolsey et plus tard à la reine Anne. Les bâtimens ont leurs destinées, habent sua fata, et celui-ci n’a rien conservé qui annonce une ancienne résidence royale. Triste, il se tient à l’écart des voies fréquentées et semble rentrer sous terre comme pour cacher son infortune. Il est si bas et mérite si bien, sous ce rapport du moins, l’épithète de low-house qu’il faut être dans la cour pour l’apercevoir. Dans cette maison, il y a deux cents lits et trois cuisines qui ont vu de meilleurs jours. La plus grande de ces cuisines, laquelle se détache des chambres à coucher, est la seule où l’on prépare les alimens; les deux autres sont consacrées à d’autres usages. Là, comme dans la plupart des lodging-houses, chaque pensionnaire à la nuit est son propre cuisinier. Dans la cour s’élève un lavoir bâti il y a quelques années, et cette cour même sert à faire sécher le linge blanchi par la main des habitués, customers. Ici la vue de la misère peut être pénible sans doute, mais elle n’a rien de révoltant. Par malheur, il s’en faut de beaucoup que tous les logemens de voyageurs (c’est un mot poli) présentent ce caractère d’ordre et de propreté. Il y en a où règnent le bruit, la confusion, une saleté impossible à décrire, où des murs

  1. Je suis entré, accompagné d’un policeman, dans plusieurs de ces établissemens et à différentes heures du jour ou de la nuit, La plus affreuse maison que j’aie visitée est dans Fox-Court (Gray’s-inn-Lane) ; elle n’est habitée que par des prostituées et des voleurs. La première fois, que je fis appel à l’obligeance du policeman qui était de service dans ce quartier, il nous fut interdit de franchir le seuil de ce logement, parce que les pensionnaires n’étaient pas levés. Il était onze heures du matin, et il faisait un épais brouillard. Mon guide me dit que cette dernière circonstance, si elle avait été connue des dormeurs, les aurait certainement attirés dans la rue, car c’était une belle occasion de se livrer à leur industrie.