Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses services. C’est l’opéra, le concert du pauvre. Et puis la musique des rues de Londres répond à des harmonies qui sont dans l’âme humaine, mais surtout à trois cordes qu’on fait aisément vibrer dans le cœur des Anglais : la tradition, la famille, la patrie.

De temps en temps, cette musique nomade se compose de vieux airs et de vieilles ballades que chantaient les grand’mères de la génération actuelle : — Il y avait un savetier qui vivait dans une échoppe (a cobbler there was and he liv’d in a stall), — le Fantôme de Cock Lane, — les Enfans dans la forêt, — Barbara Allen, etc. Or la voix du chanteur ou de la chanteuse exposée à la bise rappelle volontiers en passant la voix tremblante de l’aïeule, glacée qu’elle était par le froid des ans. D’autres fois ces airs appartiennent aux différentes provinces du royaume-uni : aux Bretons du pays de Galles, ils parlent de la montagne ; aux Irlandais, des lacs de la verte Érin ; aux Anglais du pays plat, ils rappellent les bruyères, les humides prairies et les feux-follets, the will o’ the wisp, ces esprits de la nuit qu’ils ont vus dans leur enfance courir à la surface des marécages. Il y en a d’autres qui sont des chants nationaux, des hymnes de victoire ou de deuil : La Mort de Nelson. — O Bretagne, l’orgueil de l’Océan (Oh ! Britannia, the pride of the Océan), — le Drapeau croisé de rouge (the red cross Banner). Les musiciens ambulans connaissent d’ailleurs leur terrain ; dans le port de Londres, ils font surtout entendre des ballades dont l’air et les paroles se rapportent à la vie des matelots : Loin, loin sur la mer ! — Poor Joe the mariner, — les vieux Escaliers de Wapping, — My Mary Anne, — la jolie Fille à laquelle il faut dire adieu, etc. On pense bien que l’amour, cette « grande mine du cœur humain, » comme dit John Dryden, est aussi exploité dans les romances populaires, telles que : Oh ! seras-tu ma fiancée, Katheleen ? — Kitty Tyrrel, qui est fraîche comme la rosée du matin, — Annie Laurie, dont le front a la blancheur d’une couche de neige, — Kate Kearney, qui vit près des lacs de Killarney et dont le sourire est fatal, etc. Comme Londres sert de rendez-vous à tous les peuples, à toutes les races de la terre, la musique des rues reflète ce caractère cosmopolite. On y voit des Indiens qui chantent quelque chose en langue hindoue et qui battent du tom-tom, instrument monotone, mais dont la sourde tristesse exprime bien le mal de la patrie absente ; je dois avouer qu’ils sont tombés en défaveur depuis la dernière guerre des Indes. Des Chinois égratignent les cordes d’une espèce de mandoline, et récitent d’une voix grelottante un air aussi étrange que les paroles. Enfin des Éthiopiens, connus sous le nom de serenaders, jouent du tambourin et du banjo. La vérité m’oblige pourtant à dire que ces derniers n’ont du nègre que la couleur, et