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trale ; il a favorisé les explorations de M. Livingstone et ne s’est guère démenti durant son vaste parcours, même quand le missionnaire voyageur remontait dans le nord au milieu de familles indigènes dont, l’origine et les mélanges ne sont pas faciles à discerner. Parmi ces peuplades, il en est qui, au dire de M. Livingstone et d’après les dessins qui sont joints à sa relation, rappellent d’une façon étrange, à ces limites reculées de la terre africaine, la physionomie des anciens Égyptiens : la peau est moins sombre, la chevelure moins laineuse, les traits ont plus de distinction et d’élégance que chez les autres indigènes. Dans l’originalité du costume et de la coiffure, dans certaines pratiques de l’industrie, on croit saisir encore d’autres lointaines ressemblances; il y a aussi des individus dont les yeux sont bridés à la façon de ceux des Chinois. Les migrations lointaines, les mélanges intérieurs ont produit dans la longue série des siècles un immense travail au sein de ce continent compacte, et quel est l’ethnologue qui débrouillera jamais ce profond chaos ? Quelle que soit leur origine, ces hommes, comme en général tous les noirs de l’Afrique, sont bons et bienveillans toutes les fois qu’ils n’ont pas été corrompus par le contact des marchands d’esclaves, des Portugais et des musulmans, car c’est une erreur de croire que l’Afrique doive être civilisée par l’islamisme. Cette erreur est malheureusement commune à tous ceux qui abordent ce sujet d’études; tout d’abord on s’imagine, en voyant ces hommes envers lesquels on ne peut nier que la nature se soit montrée parcimonieuse de ses dons intellectuels, qu’une religion moins élevée, moins philosophique que la nôtre, et plus facile à concilier avec leurs habitudes, leur convient davantage, et peut les aider à gravir un des degrés de l’échelle sociale. C’est l’islamisme en effet qui a groupé en sociétés et en états les populations noires du Soudan, depuis le Bambara et le Dahomey jusqu’au Darfour et au Kordofan ; mais quiconque, ne s’arrêtant pas à des apparences superficielles, a étudié avec quelque attention les relations de Clapperton, de Baikie, de Barth, et l’ouvrage si éloquent dans sa naïve simplicité du cheik Mohammed-el-Tounsi, préfère la barbarie bienveillante des sauvages livrés à eux-mêmes au dérèglement de leurs sociétés musulmanes. Là est le principal fruit des récits de M. Livingstone : tandis qu’il n’était guère donné à Barth de voir que des indigènes factices modifiés par une prétendue éducation religieuse, lui les a vus tels, pour la plupart, que les a faits la nature, et ils sont préférables en cet état.

Le missionnaire peut se méprendre sur les prompts effets que doit produire, selon lui, l’introduction du christianisme au milieu des indigènes; cette religion aura une peine extrême à s’infiltrer dans leurs esprits, et il ne faut pas se dissimuler qu’elle y revêtira, selon toute probabilité, un caractère de fétichisme ; mais ce n’est pas en quelques années qu’on peut espérer de modifier les instincts, les usages, les traditions d’une race, et mieux vaut encore donner au sauvage quelques rudimens d’idées morales que de l’abandonner à la dangereuse influence des doctrines du Koran. Dans ses ébauches de sociétés africaines, l’islamisme au Waday, au Baghirmi, au Bornou, et dans tout le Soudan, a régularisé l’ambition et la cupidité; il a changé en un dur despotisme l’autorité des chefs, introduit, sous forme d’officiers et de fonctionnaires, nombre de parasites vivant aux dépens du public, alourdi