Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne s’occupent qu’à gêner l’Italie, centre de l’expansion chrétienne. A peine se mêlent-ils aux croisades, eux qui sont placés pour cela mieux que personne. Sous le nom de gibelins, ils persévèrent dans leurs luttes contre les chrétiens méridionaux. Enfin au moment où la papauté et l’empire, fatigués tous deux, auraient pu s’unir contre les Turcs plus menaçans que jamais, à ce moment vient la réforme, qui occasionne les plus grands maux en armant les chrétiens les uns contre les autres[1]. Maintenant l’Allemagne continuera-t-elle à ne jouer jamais qu’un rôle d’obstacles et d’empêchemens? Sa mission à l’intérieur de la chrétienté est depuis trois siècles d’opposer la critique radicale de ses philosophes et de ses savans à la foi passionnée des méridionaux. Il était bon qu’elle servît ainsi à démontrer l’impuissance de la raison humaine contre l’ordre surnaturel; mais le moment n’est-il pas venu pour elle de remplir sa mission extérieure? L’Autriche, qui est de toutes les puissances germaniques la plus propre à remplir cette seconde mission, ne se transportera-t-elle pas vers l’Orient pour faire son devoir? »

On touche ici au cœur de la question. César Balbo voit juste, à cela près qu’il confond la politique de la maison d’Autriche avec l’esprit allemand. Avec ses yeux d’Italien, il ne reconnaît pas le caractère romain dans l’empire autrichien; il ne voit pas que les Habsbourg-Lorraine, pour bien assurer leur domination sur la mosaïque de petits états qui constitue leur empire, ont dû adopter le système centralisateur de la vieille Rome, qu’ils représentent en Germanie l’élément romain, que c’est cet élément usurpé et dépaysé chez eux qui les rend intolérables aux races latines, qu’enfin les entraves que le gouvernement autrichien oppose au progrès italien n’ont rien de commun avec la critique salutaire que la vraie Germanie oppose perpétuellement à Rome, depuis les gibelins, depuis la réforme, jusqu’aux philosophes et aux historiens de l’Allemagne moderne.

Abordons enfin l’Italie, cette terre mère des plus hardis et des plus adroits dompteurs d’hommes qui aient existé. La race latine, habile à séduire lorsqu’elle ne peut vaincre, à envahir lorsqu’elle ne peut absorber, remplit, selon Balbo, la plus grande mission qui ait été donnée à aucune nation chrétienne. Elle précède le christianisme, lui donne l’hospitalité, le présente au monde, combat et souffre pour lui, et unit son sort à celui de son hôte. L’Italie a

  1. César Balbo semble n’avoir pas d’autre grief contre la révolution religieuse du XVIe siècle. Il lui reproche, comme à toutes les révolutions, la violence. La conclusion des Pensieri contient cette phrase : « La civilisation allemande ne fut jamais aussi avancée qu’au milieu du XVIIIe siècle, époque où la ferveur de la réforme était remplacée par l’indifférence religieuse, qui est beaucoup moins contraire au progrès. »