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ne lui appartient pas. C’est l’Angleterre qui est aujourd’hui à la tête de l’apostolat qui doit civiliser le globe. Depuis l’an 1500, on l’a vue répandre son nom, sa langue, sa race, son commerce et son industrie jusqu’aux bornes du monde habité, bien au-delà du cercle ancien de la chrétienté. Elle fut la première, au XVIe siècle, à suivre dans l’Inde et en Amérique les excursions espagnoles; elle y fut suivie à son tour par les Français, les Hollandais et par d’autres nations de moindre importance. Dès le commencement du XVIIIe siècle, on vit croître et s’enrichir ses colonies à mesure que toutes les autres déclinaient; la perte de l’Amérique du Nord fut à peine sensible à la nation-mère, qui porta ailleurs sa fécondité. De nos jours, son action s’étend aux confins orientaux de l’Asie; elle commence à pénétrer assez avant dans le littoral africain ; elle s’implante chaque jour dans l’Océanie, où des continens futurs s’élèvent du sein des mers, et grandissent pour recueillir la succession du vieux monde; elle gagne chaque jour, et par le cachet qu’elle laisse sur tout ce qu’elle a une fois possédé, il s’en faut de peu que la moitié de l’univers ne vive aujourd’hui de la vie anglaise. Ainsi cette race laborieuse est presque seule à répandre le christianisme. Elle seule sait encore faire des conquêtes lointaines, les coloniser, les conserver; les autres essaient de temps à autre de l’imiter et de rivaliser avec elle, mais sans résultat. Sans doute sa domination sur les pays qu’elle régénère ne pourra durer toujours, et ces agglomérations secondaires se détacheront du tronc principal; mais la sève évangélique qu’elles en auront reçue sera le principe de leur vie nouvelle, et, perdues pour l’Angleterre, elles ne le seront pas pour la chrétienté. L’Angleterre est donc à la tête du progrès moderne. Sa prospérité et l’activité de sa mission sont deux faits corrélatifs. Elle est la plus puissante parce que c’est elle qui civilise le plus au dehors par son activité industrielle et commerciale, et au dedans par sa liberté. « Il ne peut être douteux pour personne, dit Balbo dans sa Monarchie représentative, que cette glorieuse et féconde primatie, et cette avance d’un siècle que la nation anglaise a prise sur les autres nations de l’Europe dans la pratique d’un régime représentatif bien ordonné, ont été la cause principale qui la préparèrent à soutenir sans s’ébranler les orages de notre époque, qui lui assurèrent une force grandissante au milieu de l’affaiblissement de toutes les autres, et qui lui conférèrent sa prépotence sur le globe, sans cesse accrue par le déclin de ses rivales. »

Bien loin après l’Angleterre dans l’œuvre de diffusion vient la Russie. Moins civilisée, mais plus animée de cette vigueur qui distingue les races neuves, elle forme une barrière inerte à l’entrée de l’Orient, où se glisse néanmoins l’Angleterre. Son erreur consiste à