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Dans l’ordre chronologique des faits, c’est aux débats du parlement britannique qu’appartient la priorité. L’ouverture des chambres anglaises était attendue avec une impatience universelle, et en cette occasion l’orgueil anglais, à qui les péripéties de nos révolutions ont donné au moins le prétexte de croire que le parlement britannique est aujourd’hui le parlement du monde, a dû être pleinement satisfait. Il faut être juste envers nos alliés et nos rivaux : le discours de la reine d’Angleterre et la discussion de l’adresse dans les deux chambres ont été dignes de la gravité et de la solennité des circonstances présentes. Amical pour la France et son souverain, le discours de la reine a donné à la paix du monde un gage significatif dans cette phrase, qui a été si remarquée : « Je reçois de toutes les puissances l’assurance de leurs sentimens d’amitié. Cultiver et confirmer ces sentimens, maintenir intacte (inviolate) la foi des traités publics, et contribuer, aussi loin que s’étend mon influence, à conserver la paix générale, tels sont les objets de ma constante sollicitude. » Cette déclaration royale a été acceptée comme le mot d’ordre de la politique anglaise par les orateurs qui ont présenté des observations sur la question italienne et les difficultés qui divisent la France et l’Autriche. Ce n’est point, à proprement parler, une discussion qui s’est engagée sur les adresses proposées en réponse au discours du trône : c’est une conversation calme et élevée, à laquelle les chefs des grands partis parlementaires ont seuls pris part. Chefs de l’opposition et ministres, lord Granville et lord Derby dans la chambre des lords, lord Palmerston, lord John Russell et M. Disraeli dans la chambre des communes sont venus tour à tour attester la doctrine du respect des traités existans et en même temps témoigner de leurs sympathies pour l’amélioration des gouvernemens de l’Italie et de leur attachement à l’alliance française. Il est intéressant de recueillir et de rapprocher leurs déclarations les plus caractéristiques dans ces trois ordres d’idées. A nos yeux en effet, ces trois sortes de manifestations se corroborent les unes par les autres. Comment ne point accorder un grand poids à la parole d’hommes d’état qui protestent en faveur du respect des traités qui ont déterminé la distribution actuelle des territoires en Italie, lorsque ces hommes d’état sont des amis incontestés de l’émancipation progressive et libérale de l’Italie et des partisans éprouvés et persévérans de l’alliance française ?

Les hommes d’état anglais ne se sont point mépris un instant sur la conséquence immédiate à laquelle tendent les agitateurs de la question italienne : cette conséquence est l’expulsion de l’Autriche de la Lombardo-Vénétie au moyen de la guerre, de la guerre entreprise par le Piémont et la France contre l’Autriche ; c’est le renversement d’une domination étrangère par le concours d’une puissance étrangère. L’aimable leader des whigs dans la chambre des lords, lord Granville, qui a pris le premier la parole, a signalé le danger d’une pareille coopération. « On se dissimulerait en vain, a-t-il dit, qu’il y a maintenant en Italie des hommes qui, oublieux des leçons de l’histoire, croient qu’il est possible de s’affranchir d’une domination étrangère par le secours de l’étranger… Le sentiment le plus profond qui existe chez les Italiens à travers tous les partis qui les divisent, c’est la haine de l’étranger, et, ne nous y trompons pas, cette haine n’est