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Lorsqu’il comprit enfin que l’heure était sonnée,
Et que la bien-aimée, au brun regard terni,
Dans le cercueil étroit gisait emprisonnée.
Que tout était fini;

Il alla s’accouder au bord d’une fenêtre
Que voilaient à demi les sureaux du jardin.
Il était là, muet, lorsque les chants du prêtre
Sous les murs du logis retentirent soudain...

« Non, non, s’écria-t-il, jusqu’à la fosse humide
Je ne conduirai pas ce cercueil ravisseur,
Je n’irai pas montrer à la foule stupide
Tes larmes, ô mon cœur!

« Je ne veux point fouler l’herbe du cimetière,
Cette herbe qui verdit, qui fleurit quand je meurs;
Non, non, je ne veux point voir la nature entière,
Son printemps, son soleil, rire de mes douleurs.

« Je veux rester ici, dans sa maison déserte,
Recueillant du passé le moindre souvenir.
Et je croirai, la nuit, par la porte entr’ouverte,
La voir encor venir.

« Oui, je reste avec vous, hôte mélancoliques.
Livres, meubles poudreux, parures et joyaux,
Et de tous vos débris, de toutes vos reliques.
Je veux recomposer mon bonheur en lambeaux.

II.


« Elle portait l’été de simples robes blanches,
Sur le léger corsage et sur les larges manches
Flottaient des rubans bleus ;
Quand le soir empourprait les collines prochaines,
Dans les sentiers bordés de buis, couverts de chênes,
Nous cheminions tous deux.

« Les blés mûrs scintillaient, les pâles églantines
S’entr’ouvraient, les grillons jasaient dans les épines
Des buissons d’alentour,
Les arbres languissans inclinaient leur ramure.
Et dans les fleurs, dans l’air, ce n’était qu’un murmure.
Qu’un ardent cri d’amour.

« Parfois, dans l’herbe assis, nous lisions, et les saules
Aux troncs moussus prêtaient ses rondes épaules