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l’heureux auteur de la découverte, celui auquel le gouvernement colonial adjugeait une récompense de 500 livres, était M. Hargraves. Ce gentleman avait habité la Californie, puis, de retour en Australie, il avait été frappé de certaines analogies géologiques entre les deux contrées, et c’était à la suite de recherches et d’études intelligentes qu’il avait signalé les gisemens aurifères. En récompensant cette découverte et en nommant une commission chargée de l’étendre, le gouverneur, M. Fitzroy, eut la bonne intention de l’exploiter au profit de l’administration coloniale et de prévenir un désordre pareil à celui dont la Californie était encore le théâtre : il revendiqua par une proclamation l’exploitation des mines comme propriété de la couronne, et menaça de poursuites légales quiconque ferait des fouilles. Vaines précautions ! Bathurst, bourgade voisine de la crique de Summer-Hill et de la rivière Macquarie, lieux d’abord signalés à l’exploitation, la ville même de Sydney se jetaient avec un fiévreux empressement sur les mines. Chaque jour, à chaque heure circulait parmi la foule avide le bulletin des prospérités : tel mineur avait trouvé un nugget (lingot) de plusieurs livres, tel autre revenait déjà enrichi. Le vertige gagnait tous les esprits : Sydney n’était plus déserté seulement par les manœuvres et les gens de la classe inférieure ; une foule de gentlemen abandonnaient des professions libérales pour revêtir la blouse, prendre en main la pioche et la bêche. Le gouverneur débordé se bornait à imposer une licence assez élevée, dont par la suite le chiffre était diminué, et qui cependant soulevait les plus vives récriminations, et n’était pas toujours scrupuleusement acquittée.

Bathurst et la province de Sydney ne demeurèrent pas longtemps la seule région favorisée ; les colons de Port-Philip, pleins d’envie et d’émulation, se mirent en quête de l’or, et leurs recherches obtinrent un plein succès. Le mont Alexandre et Ballarat ne tardèrent pas à rivaliser avec la Nouvelle-Galles et à la dépasser, bien que dans cette lutte de richesses Sydney produisît un jour une pépite de quarante kilos. En même temps les étrangers, attirés de tous les coins du monde par la grande nouvelle, abordaient en foule à Sydney et à Melbourne ; ils trouvaient les rues désertes, les magasins fermés faute d’acheteurs et de marchands. Tout le monde était aux mines, et eux-mêmes s’en allaient grossir les troupes de quarante ou cinquante mille travailleurs qui avaient planté leur tente dans les plaines marécageuses, y menant une vie pénible, hâves, sales, exposés à toutes les intempéries.

Ces temps sont déjà loin de nous, et trop de personnes ont entendu faire le récit de cette fièvre de l’or pour qu’il soit utile d’insister. Les villes australiennes, qui étaient dans une voie de prospérité paisible, subirent un choc violent, et firent en quelques mois, sous le