Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas moins 80 hectares, en paie une partie, et borne ses autres acquisitions à un cheval et à une vache. Dès la première année, sa récolte lui donne 4,000 francs, et le terme des cinq ans le trouve propriétaire de 240 hectares, de vingt-huit têtes de bétail dont sept chevaux, indépendamment de la bergerie, de la basse-cour, du verger, etc., et de 20,000 fr. d’argent comptant. — Voici enfin un Allemand qui n’a que ses bras pour tout avoir : réduit aux expédiens du squatterism, il fait élection de 60 hectares, s’y établit sans conteste, et commence par semer le quart de son domaine improvisé. Les cinq années s’écoulent, il est devenu riche : plus de 12,000 fr. sont à ses ordres chez son banquier, car il a un banquier, et, pour me servir de l’expression anglaise, on le considère dans le pays comme valant 50,000 francs, worth ten thousand dollars.

Il serait facile de multiplier ces exemples, car, dans la colonisation californienne, le cultivateur joue presque à coup sûr, et certes la somme de chances qu’il y met de son côté ne peut en rien se comparer à la hasardeuse loterie des mines. J’irai plus loin : en dehors du commerce, qui demandera toujours l’apport de quelques capitaux et restera le partage du petit nombre, tout semble devoir diriger de préférence l’émigrant vers l’agriculture, non-seulement aujourd’hui, mais pour bien des années encore. Dans ce pays, dont l’or constitue la principale industrie, les salaires naturellement se régleront sur la journée du mineur, et l’on doit s’attendre à voir graduellement diminuer le prix de cette journée, par suite du développement des grandes compagnies, qui tendent de plus en plus à monopoliser l’exploitation des mines. On est déjà loin du taux des premières années; le salaire moyen est descendu à 15 francs environ, gain fort honnête assurément, mais qui ne peut guère que baisser. Il n’en est pas de même de la colonisation agricole; les causes qui permettent d’acquérir la terre si notablement au-dessous de sa valeur subsisteront longtemps encore, la fertilité naturelle de cette terre s’accroîtra chaque année par les travaux qu’on lui consacrera, et nul bouleversement commercial ne pourra ruiner la famille qui aura su asseoir sa fortune sur cette base, modeste peut-être, mais aussi sûre qu’inattaquable.

Il est en matière d’émigration un point assez délicat, que l’on ne peut cependant passer ici sous silence : je veux parler des femmes. Que l’on se rassure : il ne saurait être question que d’un seul genre de femmes, de celles qui sont l’honneur et le charme d’un pays, et je ne m’y arrête que pour signaler combien certaines idées des Anglais et des Américains sur ce sujet nous sembleraient étranges et inadmissibles. Naguère encore, lorsque l’Inde était pour les nombreux cadets des familles anglaises une source inépuisable de positions brillantes et lucratives, les sociétés de Madras, de Bombay et