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le consul de France à San-Francisco, M. Dillon, à la suite d’une longue et consciencieuse discussion, concluait pour l’année 1851 à une extraction totale de plus de 400 millions de francs, tandis que d’autres données ne permettraient guère de porter ce chiffre à plus de 300 millions. Ne prenons toutefois partout que les évaluations les plus faibles. Le relevé total des exportations officielles, de 1848 à 1856 inclusivement, est, d’après la Mercantile Gazette and Shipping Register de San-Francisco, de 325 millions de dollars en nombres ronds[1]. Admettons que 15 millions soient annuellement exportés sans déclaration (M. Dillon faisait monter ce chiffre à plus de 30 millions pour 1851), et ne faisons entrer cet élément qu’à partir de 1850; enfin ne supposons que 25 millions d’or en circulation dans le pays, bien que la monnaie de San-Francisco en ait frappé pour plus de 28 millions en 1856 seulement. On aura ainsi pour l’ensemble de la production aurifère depuis la découverte 440 millions de dollars, chiffre certainement au-dessous de la vérité, car certaines évaluations portent les résultats de cette production à 600 millions, 440 millions de dollars font plus de 2 milliards de francs, c’est-à-dire plus de la moitié du numéraire dont il y a dix ans on admettait l’existence dans l’Europe entière! Ce n’est pas ici le lieu de rechercher l’influence qu’une aussi profonde perturbation a dû exercer sur la vie financière du monde civilisé; mais, sans sortir de la France, on peut dire qu’il n’est pas une condition de notre existence matérielle qui n’ait été plus ou moins modifiée par le merveilleux Pactole sorti de la Californie et de l’Australie. « Il fait plus cher vivre, » dit pittoresquement l’homme du peuple, et certes c’est là le revers de cette brillante médaille; mais Jean-Baptiste Say constatait déjà que de son temps on achetait au moins six fois plus cher qu’avant la découverte de l’Amérique. Combien d’ailleurs cet inconvénient n’a-t-il pas été compensé par l’accroissement de toutes les ressources! L’esprit humain aime à rapprocher les effets de leurs causes : la prodigieuse impulsion donnée aux affaires de tout genre dans ces dernières années, la hausse générale des propriétés foncières, le développement marqué de l’industrie, la rapidité avec laquelle notre sol a été doté de son réseau de chemins de fer, tout cela, on peut le dire, était en germe dans la main de Marshall le jour où il ramassait quelques parcelles de métal éparses dans la vase d’un ruisseau ignoré.

L’industrie aurifère en Californie semble aujourd’hui assurée d’un avenir dont il est encore impossible de fixer le terme. La superfi-

  1. Nous ne parlons ici que des sommes sorties du seul port de San-Francisco. L’exportation des États-Unis s’est élevée pour l’or, en 1857, à 352,958,302 francs; en 1858, la crise financière l’a fait descendre à 268,429,049 francs.