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ne rapportât un intérêt supérieur à 1 1/2 pour 100 par mois; on en voyait qui donnaient 10 et même 12 pour 100. La branche méridionale de l’American-Canal, qui avait coûté plus de 3 millions, produisait 600,000 francs par an. Malheureusement ces bénéfices exagérés ne sont pas à l’avantage des mines californiennes, et l’on y voit se révéler les deux côtés fâcheux de l’industrie des chercheurs d’or, le manque de capital et le manque d’eau.

L’absence de capitaux a été jusqu’ici la grande plaie du pays, et c’est à cette cause même qu’il faut attribuer le taux ruineux auquel on empruntait les sommes qui payaient ces utiles travaux hydrauliques, taux dont la conséquence naturelle était l’exagération des tarifs. Si l’on doit espérer de voir cesser quelque jour cette indigence anormale, on ne peut en dire autant du manque d’eau : abondant dans la saison la moins favorable aux travaux, cet élément, si essentiel à la récolte de l’or, est très rare sur nombre de points pendant le reste de l’année. Peut-être n’est-ce là qu’un obstacle salutaire, qui empêchera l’exploitation californienne de s’épuiser avant d’avoir usé maintes générations de travailleurs. Il est probable que dans un avenir prochain on verra exécuter dans les montagnes de la sierra californienne des travaux analogues à ceux qui sont à l’étude chez nous pour garantir la France du fléau des inondations; il est probable que des endiguemens y transformeront certaines vallées en lacs artificiels, de manière à conserver précieusement toutes les pluies de l’hiver et de l’automne; mais il paraît certain en même temps, au dire des juges les plus expérimentés, que jamais l’eau fournie par la nature ne suffira chaque année à plus de six mois de travaux activement poursuivis.

Si l’un des mineurs malheureux que l’on voyait en 1849 quitter San-Francisco après avoir perdu la santé sans avoir rencontré la fortune, si l’un de ces mineurs, dis-je, visitait aujourd’hui les placers, il les trouverait sans nul doute singulièrement métamorphosés. Au lieu de la multitude désordonnée qui se pressait sur les bords du moindre ruisseau, il verrait des troupes entières travailler avec ensemble à éventrer des montagnes, à bouleverser des collines; il parcourrait de véritables mines avec des galeries qui présentent une longueur de 3 à 400 mètres, et sont assez hautes pour qu’un cheval puisse y voiturer le minerai. Au lieu de simples ateliers de lavage, il verrait des usines approvisionnées au moyen de chemins de fer, il trouverait en un mot une exploitation susceptible encore de perfectionnemens, mais au moins ne rejetant pas, comme dans les premières années, des terres encore imprégnées de la moitié de leur or. Telle était en effet l’ignorance ou l’inhabileté pratique des premiers mineurs, que non-seulement ils abandonnaient parfois