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étendue de pays très restreinte, déjà plus de quatre mille personnes y étaient réunies, fouillant le sol et lavant à l’eau des rivières les terres que la pioche avait remuées. La récolte quotidienne s’élevait en moyenne à 40,000 dollars, ce qui mettait l’un dans l’autre à un peu plus de 50 francs le gain journalier de chaque mineur. Il s’en fallait toutefois que l’on put compter sur ce chiffre dans des recherches auxquelles ne présidait aucun ordre, aucun esprit d’ensemble, et où chacun travaillait pour son compte, sans possibilité de balancer ses profits et ses pertes dans le bénéfice assuré d’une exploitation commune. C’était et ce ne pouvait être qu’une véritable loterie. On se montrait, il est vrai, la ravine d’où en une semaine étaient sortis 17,000 dollars, laissant, tous frais payés, plus de 50,000 francs à l’heureux propriétaire; on admirait le bonheur d’un émigrant missourien, qui, aidé d’un seul compagnon, avait recueilli 16,000 fr. en deux jours; on en citait bien d’autres encore, car la liste était longue et se grossissait incessamment. Néanmoins une inspection, même sommaire, de l’industrie dont la vallée du Sacramento était devenue le siège eût suffi à renverser bien des illusions. On eût reconnu qu’une seule classe de travailleurs jouissait de bénéfices toujours assurés, celle des marchands qui spéculaient sur les besoins des mineurs, et engrangeaient ainsi une moisson aurifère hors de toute proportion avec ce que leur eût donné le labeur des mines. Si grossière que fût la nourriture, un homme dépensait pour lui seul ce qui ailleurs eût fait vivre une famille dans l’abondance. De mauvais instrumens de travail, des bêches, des pioches de pacotille, étaient payés quinze ou vingt fois leur valeur. C’était surtout lorsque l’émigrant se voyait en proie aux fièvres et aux dyssenteries, si fréquentes dans un tel dénûment, qu’il devenait l’objet d’extorsions sans limites : la goutte de laudanum se vendait deux ou trois fois son poids d’or, une pilule 50 fr., une consultation de médecin (et quels médecins!), 2, 3 ou 400 fr. Le plus sûr, et de beaucoup, eût été de renoncer à tenter soi-même la chance, car il était incontestablement plus profitable de vendre la terre, après l’avoir excavée, au prix moyen de 2,000 francs le tombereau que de s’exposer aux hasards d’un lavage incertain; mais ce n’était pas pour raisonner froidement que cette foule avide se ruait sur la Californie : c’était pour chercher, non moins que la richesse, les ardentes émotions que lui procuraient ces continuelles alternatives de fortune et de pauvreté, d’abondance et de privations.

La période régulière de l’exploitation ne commença guère qu’en 1852. Tant que l’on s’était borné à gratter, pour ainsi dire, la superficie du sol, le mineur isolé avait pu se suffire; mais il fallut bientôt recourir à des travaux onéreux qui nécessitèrent la forma-