Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement peut-être, la cause de ces tribus, avec lesquelles elle a passé la période la plus intéressante de ses voyages, et qui lui ont été hospitalières.

Nous pourrions, si nous n’avions déjà fait une si longue route, accompagner encore Mme Pfeiffer dans son retour en Europe, soit en passant par la Chine et par l’Amérique du Sud, soit en traversant l’Inde anglaise, la Perse, la Russie, car, on le sait, elle s’est montrée partout, et elle a voulu tout voir; mais nous l’abandonnons au milieu de ses Malais. Elle est bien là, dans le cadre qui lui convient. Cette femme, élevée dans une capitale d’Europe, habituée aux délicatesses de notre civilisation, se plaisait particulièrement au spectacle de la nature vierge et à la familiarité des sauvages. Là seulement elle trouvait la réalisation de ses rêves de jeunesse, elle était heureuse, elle se sentait vivre. Que l’on compare dans ses relations de voyage les souvenirs que lui laissent les pays civilisés avec les impressions qu’elle recueille à travers les tribus dont la conquête européenne n’a point encore altéré le caractère, et l’on reconnaîtra sans peine de quel côté l’entraînent instinctivement ses goûts et ses préférences. Elle s’égare au plus profond des forêts, elle gravit les hautes montagnes, elle soutient contre les difficultés de la nature une perpétuelle gageure; elle brave et désarme les coupeurs de têtes et les cannibales. D’un tempérament infatigable, d’une intrépidité sans égale, d’une gaieté qui ne se dément jamais, elle s’embarque, le pied leste et la jupe serrée, dans les expéditions les plus périlleuses et les moins utiles. Il y a en elle du zouave et de l’artiste. C’est ainsi que partout elle a marqué sa trace. On se souvient d’elle dans les salons de Batavia comme dans les huttes des sauvages de Bornéo. Les Battaks s’entretiendront longtemps de la vieille femme blanche, qui leur est apparue un jour à la recherche d’une âme perdue et sous la conduite d’un bon génie. Parmi les sauvages, Mme Pfeiffer est déjà passée à l’état de légende. Pour nous, elle se détache, sur un plan qui n’appartient qu’à elle, de la foule des voyageurs; elle a créé un type, un type unique; elle restera populaire, et ses récits, simples, naturels, pleins d’originalité et de vie, charmeront encore la génération qui viendra après nous.


C. LAVOLLEE.