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sement levés au ciel. Les peuples sauvages ont le sentiment et les poses de la dignité. Mme Pfeiffer croyait assister plutôt à une cérémonie religieuse du caractère le plus imposant qu’à un épisode de fête païenne. A la suite de cette danse, consacrée à l’invocation du mauvais génie, on servit le repas; on avait fait cuire de la farine de riz dans le sang du buffle et mis à la broche la viande et les entrailles, y compris le foie, dont Mme Pfeiffer dut avoir l’air de se régaler. Les danses reprirent après le banquet : danse des glaives, absolument semblable à celle des Dayaks, danse des couteaux, danse du pugilat, danse du diable, enfin danse du supplice. Le rajah se fit beaucoup prier pour cette dernière figure, qui ne s’exécute qu’à l’occasion des sacrifices humains. Un gros morceau de bois, surmonté d’un chapeau de paille, représentait la victime. Les Battaks sautèrent et se démenèrent pendant quelque temps, leurs couteaux à la main. L’un d’eux porta le premier coup; tous l’imitèrent avec furie. Le chapeau de paille, c’est-à-dire la tête, fut séparé du tronc, placé soigneusement sur une natte, et bientôt entouré des danseurs, qui poussaient d’horribles cris. Le simulacre du festin compléta cette affreuse scène, et la curiosité de Mme Pfeiffer se trouva plus que satisfaite. La voyageuse passa une bien mauvaise nuit, et elle eut d’épouvantables rêves dans la hutte qui lui fut assignée. Le lendemain elle se remettait en route.

Les maisons des Battaks sont construites, comme celles des Malais, sur pilotis, mais elles sont plus grandes et plus solides. L’intérieur se compose d’une seule pièce, dans laquelle logent trois ou quatre familles. Au-dessous est la basse-cour, où sont entassés pêle-mêle volaille, porcs, vaches, buffles, etc. Devant chaque maison s’élève une petite hutte qui est couverte d’un double toit, et dans laquelle on conserve soigneusement les provisions de riz. Le bétail et le riz sont très abondans; la masse de la population vit dans l’aisance. Malheureusement tout est malpropre et repoussant de saleté; Mme Pfeiffer donne à cet égard des détails qu’il faut renoncer à reproduire. Elle est pourtant bien indulgente. « Les Battaks, dit-elle, sont supérieurs sur beaucoup de points aux autres peuples sauvages. Ils savent lire et écrire, et leurs lois passent pour être en général très bonnes et très justes... Malgré cela, ils sont anthropophages. » Ce dernier trait gâte tout. Les Hollandais sont parvenus à supprimer chez les Battaks soumis à leur domination les sacrifices humains. Leur honneur, comme leur intérêt, est engagé à poursuivre dans l’intérieur de Sumatra l’œuvre de civilisation et de conquête qu’ils ont entreprise. La nature du terrain, l’extrême difficulté des communications, la défiance instinctive et fort légitime des tribus indépendantes, la faiblesse des moyens dont la Hollande peut