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du mauvais génie. Ses désirs sont sacrés, ses paroles deviennent des oracles. De cette superstition résulte un excellent moyen de gouvernement. Le rajah n’a qu’à se dénoncer comme étant possédé du démon; il se livre à mille contorsions, simule la folie, danse en furieux, et quand ses crédules sujets sont bien convaincus de la présence du génie, il commande; la foule obéit, et le tour est fait.

Les principaux actes de la vie, les mariages et les enterremens, ne sont entourés d’aucune cérémonie. Les hommes achètent leurs femmes; quelquefois ils les achètent toutes jeunes, les prennent chez eux, les élèvent comme leurs enfans, et les épousent quand le temps est venu. Le Battak trop pauvre pour payer la femme qu’il désire peut s’offrir à travailler comme esclave dans la famille de sa fiancée, et il acquitte ainsi sa dette. Ce trait de mœurs n’est pas nouveau; il remonte aux patriarches, et semble emprunté à la Bible. Du reste, l’obligation de payer les femmes est un frein contre la polygamie : il n’y a guère que les rajahs qui soient assez riches pour contracter plusieurs mariages. Les femmes mènent chez les Battaks une vie très active, ce sont elles qui font la grosse besogne et travaillent aux champs des hommes se contentent de bâtir les maisons et de planter le riz, puis ils se reposent en fumant le tabac ou en mâchant le bétel. L’usage du tabac et du bétel est général parmi les femmes comme parmi les hommes; les enfans fument dès l’âge de cinq ans, et il ne paraît pas que cette habitude, au sujet de laquelle nos médecins d’Europe sont si peu d’accord comme sur tout le reste, soit préjudiciable à leur santé. Les Battaks sont grands, robustes, très agiles, et ils vivent longtemps; les femmes sont plus fortes et plus grosses que dans les autres régions de la Malaisie. A toute occasion, on célèbre dans les uttas ou villages des sacrifices ornés de danses. Le plus souvent c’est un jeune buffle qui est immolé. Quand le rajah de Danau résolut d’accompagner Mme Pfeiffer dans sa périlleuse entreprise, il fit sacrifier un bulletin en l’honneur de l’Européenne, « afin d’invoquer les mauvais génies. » La danse fut exécutée par son fils, qui se trouvait à ce moment visité par le démon, et qui dansa en effet comme un possédé, jusqu’à ce qu’il tombât, épuisé, dans les bras de ses futurs sujets. On tua alors le buffle, on le coupa en petits morceaux, et on en distribua la plus grande partie au peuple. Le foie fut réservé pour Mme Pfeiffer comme le morceau le plus délicat. Dans une autre circonstance, le rajah donna une représentation plus complète. La musique se composait d’un tambour, d’un gong, d’une sorte de cornemuse et de longs chalumeaux. La première danse, pendant laquelle fut immolé le buffle, avait un caractère solennel; le rajah lui-même y prit part en se livrant à une grave pantomime, les mains et les yeux respectueu-