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partie la plus intéressante de ses voyages. Nous la verrons dans le plein déploiement de ses facultés et de son génie de voyageuse, aux prises avec des difficultés presque insurmontables, en face de périls qui avant elle avaient rebuté les plus intrépides. Les pages qu’elle consacre à ces contrées de l’Asie sont à la fois dramatiques et instructives ; elles gardent dans leur originale simplicité l’empreinte des émotions que procure l’inconnu, et elles font merveilleusement comprendre l’entrain de cette insatiable curiosité qui soutenait Mme Pfeiffer dans une exploration téméraire souvent jusqu’à la folie. Nulle part ailleurs on ne trouverait d’informations plus complètes sur les peuplades de Bornéo et de Sumatra.

Ce fut par Sarawak que Mme Pfeiffer attaqua Bornéo. Sarawak est la capitale d’une petite principauté qui a été fondée en 1841 par un citoyen anglais, M. James Brooke, devenu baronet par la faveur de la reine Victoria et rajah par l’investiture d’un sultan indigène. Aujourd’hui sir James Brooke désire abdiquer, et il propose au gouvernement anglais de lui céder sa couronne, sa capitale et ses sujets, moyennant le simple remboursement des frais de l’entreprise. Les négocians de Liverpool appuient très chaudement cette offre, que le gouvernement ne paraît point disposé à accepter, et l’on ne sait encore comment s’opérera la liquidation de Sarawak. En 1851, lorsque Mme Pfeiffer abordait à Bornéo, la fortune du rajah était à son apogée. Une capitale de dix mille âmes, une banlieue étendue peuplée de Malais, de Dayaks et de Chinois, un commerce important avec Singapore, tout cela était l’œuvre de sir James Brooke. Mme Pfeiffer, désireuse de pénétrer dans l’intérieur de l’île, ne considérait Sarawak que comme un gîte d’étape. Quand elle eut visité quelques cases malaises, où vivaient honnêtement, sous la loi d’un souverain britannique, d’anciens chefs de pirates convertis en colons et en bourgeois, quand elle eut fait une excursion dans les montagnes où les Dayaks établissent leurs cabanes sur des pics presque inaccessibles, elle songea à chercher plus avant les émotions et les fatigues que lui promettait amplement ce premier coup d’œil. Son plan consistait à traverser Bornéo dans sa largeur après un détour sur Pontianak, possession hollandaise située sur la côte nord-ouest. Aucune route frayée, des montagnes, des forêts, des tribus sauvages, toutes les difficultés se dressaient devant elle et l’attiraient vers une expédition que ses amis de Sarawak s’épuisèrent vainement à lui représenter comme impraticable. Forcée par le mauvais temps de rentrer au port, elle ne se découragea point ; elle prit un autre navire, s’embarqua sur un prow malais, et n’arriva qu’avec beaucoup de peine à l’embouchure du fleuve Sacarran, qu’elle devait remonter pour s’introduire au centre de l’île.