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même à cette science quelques chapitres nouveaux, car Mme Pfeiffer a décrit des pays où personne avant elle ne s’était aventuré; elle a pénétré au milieu de peuplades inconnues, en recueillant dans son passage rapide bon nombre d’observations sérieuses ou piquantes. Ce n’est pas qu’elle doive être classée parmi les savans de profession; on ne la voit point consulter à chaque pas un baromètre lorsqu’elle escalade les montagnes, ni prendre des hauteurs pour mesurer la longitude, ni mutiler les rochers avec un marteau de géologue. Il ne paraît pas davantage qu’elle ait tenu à baptiser de son nom quelque plante nouvelle. Il ne restera d’elle que des impressions de voyages exemptes de science et de pédanterie. Ce qu’elle a surtout vu et décrit, sinon profondément étudié, c’est ce panorama si mobile que présentent les races humaines; ce sont les mœurs, les coutumes et même les costumes, détail que les femmes excellent à saisir d’un coup d’œil et à peindre exactement; c’est le ton et la couleur du tableau dont son avide curiosité voulait sans cesse élargir le cadre. Elle possédait à un tel degré cette faculté de prompte observation, que son premier voyage est aussi complet, aussi net dans le récit que le second. Il semble qu’elle n’ait pas eu besoin d’acquérir l’expérience : elle était née avec le sens des voyages. Le contentement que lui causait la vie nomade et la satisfaction qu’elle éprouvait à courir le monde la trouvaient et la laissaient dans l’état naturel de son esprit, sans lui inspirer au début de puérils enthousiasmes, sans fausser son jugement. Elle se sentait partout à l’aise et ne s’étonnait de rien. Elle appartient donc, parmi les voyageurs, à l’espèce la plus rare, non pas seulement en sa qualité de femme, ce qui suffirait à la mettre tout à fait hors classe, mais encore parce qu’elle a su voir beaucoup sans être savante, bien raconter sans prétendre au titre d’écrivain, enfin dire la vérité sans être ennuyeuse. De là son succès, attesté par la circulation considérable de ses récits, qui sont déjà traduits dans presque toutes les langues. Mme Pfeiffer est réellement, dans la bonne acception du mot, une femme célèbre.

Il ne saurait évidemment entrer dans notre pensée de la suivre pas à pas dans ses pérégrinations continuelles, ni de raconter successivement les divers incidens de la route. Aussi bien, dans beaucoup de pays où elle ne fait que passer, et qu’elle entrevoit seulement dans l’intervalle d’une relâche, elle n’observe rien que nous ne connaissions déjà par les relations plus détaillées d’autres voyageurs. Il vaut mieux nous arrêter avec elle dans les régions où elle a dû, par un séjour plus prolongé, recueillir des impressions plus sûres et plus profondes. Voici par exemple les îles de la Sonde et les archipels de la Malaisie. C’est là que Mme Pfeiffer a accompli la