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dessus de celle de Byron. Il ne faut point s’en étonner : il est plus facile de revenir de l’obscurité que de l’impopularité. Autant et plus que Byron, Shelley avait jeté le gant à la société anglaise ; mais il n’avait pas été discuté : il n’avait eu ni admirateurs ni détracteurs, il avait été simplement incompris et rejeté. Byron au contraire avait eu ses partisans et ses adversaires ; la voix publique était fatiguée de crier son nom. L’admiration ou le mépris de sa poésie n’avait pas la saveur de la nouveauté. Son nom appartenait à l’histoire, il ne pouvait être le drapeau d’une coterie ; il était de ceux qu’on pouvait copier désormais sans avouer ses emprunts.

J’ose dire que le parti-pris et la bizarrerie eurent leur large part dans cet épanouissement posthume de la gloire de Shelley, et je le dis parce que Byron ne fut pas le seul à souffrir de cette réaction exagérée. La renommée de Walter Scott, aussi grande et bien autrement pure que celle de Byron, a pâli comme la sienne depuis vingt ans. Les aventures et les infortunes de ses héros font pleurer aujourd’hui les enfans et les jeunes filles des moindres chaumières de l’Europe, tandis que ce trésor charmant de toutes les émotions les plus douces et les plus pures languit dans le coin le plus poudreux des bibliothèques de l’Angleterre. C’est qu’il n’y a pas seulement dans cet oubli le dédain ordinaire d’une génération pour celle qui l’a précédée, il n’y a pas même l’entraînement d’une nouvelle et brillante école qui occupe trop le présent pour laisser songer au passé. Il y a une preuve convaincante de ce parti-pris et de cette affectation qui corrompent aujourd’hui le sens critique des Anglais. Ce n’est plus en effet la juste et saine appréciation des mérites littéraires qui fait et défait les réputations ; la préoccupation religieuse et sociale domine et traverse les œuvres les plus désintéressées de l’imagination et de la fantaisie. Walter Scott a été le romancier et le poète d’un passé contre lequel réagit fortement l’esprit public de l’Angleterre ; il partage aujourd’hui l’impopularité de ce passé. Byron a bien maudit le despotisme et chanté la liberté, mais sans trop s’occuper de ce que pouvait devenir l’Angleterre dans les grandes luttes de la civilisation moderne. Il n’en appelait pas d’un présent triste à un avenir fantastique ; il avait surtout le tort, impardonnable aux yeux de bien des Anglais, de croire à autre chose qu’à l’Angleterre. Homme de passion, il attaquait sans plan et sans méthode. Il n’avait point essayé de fondre les nuages de l’Allemagne avec les brumes de son pays. Il pensait aux hommes, il ne pensait guère à l’humanité. Lui aussi est devenu l’homme du passé ; il est allé s’asseoir dans l’ombre des grandes renommées de Milton et de Shakspeare, en attendant qu’il ait sa place auprès d’eux. Ainsi, tout en entraînant avec lui la littérature anglaise dans l’opposition