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A Marseille, à Bordeaux, dans nos autres ports, la proportion des navires partant sur lest n’est pas moins considérable. Plus faibles en volume, nos exportations sont toutefois supérieures en valeur. Ainsi en 1857 elles ont atteint un chiffre de 2,357 millions, excédant de 123 millions celui des importations, et cette différence tend à augmenter chaque année. Cette contradiction n’est qu’apparente. Nous recevons en grande quantité des matières premières brutes; nous les travaillons, nous les réduisons en leur donnant une certaine forme, puis nous les exportons : la plus-value de l’exportation représente le prix du travail.

Ainsi ordonnée, la circulation maritime semble de prime abord s’opérer dans les conditions les plus naturelles et les plus favorables à notre production et à notre consommation. Cependant il faut tenir compte des pertes énormes que produisent ces trop nombreux voyages de navires vides. Les dépenses des traversées sur lest doivent être forcément prélevées sur les bénéfices des traversées en cargaison ; il en résulte une augmentation fâcheuse dans le prix du transport des matières que nous recevons. La distance des lieux d’où elles proviennent est en quelque sorte doublée. Le navire parti à vide de nos ports pour y ramener du coton de l’Amérique, située à quatorze cents lieues de nos côtes, va le chercher en réalité à une distance double, puisqu’il se fait payer les frais d’une route de deux fois quatorze cents lieues. La marine est d’abord atteinte dans ses bénéiices nets, que le lest diminue singulièrement. Le commerce s’en ressent par l’augmentation forcée du fret. Enfin la perte retombe sur les consommateurs, c’est-à-dire sur la nation tout entière. Pour remédier à cette répartition vicieuse des transports par mer, il faudrait accroître nos ventes à l’extérieur, par suite augmenter notre production; mais le travail industriel, malgré ses développemens et ses progrès, ne pourra jamais alimenter suffisamment la marine. Les produits qu’il fournit ont un volume relativement restreint, et ils trouvent sur les marchés étrangers une active concurrence. Puis une industrie qui fournit chez d’autres peuples un tonnage si considérable à la marine, l’industrie des mines, est peu développée chez nous : nos extractions ne suffisent même pas à notre propre consommation.

Plus importante que notre industrie manufacturière, répandue sur un théâtre plus vaste, où elle emploie un nombre triple de bras, l’agriculture a été jusqu’à ce jour tout aussi impuissante à fournir un fret abondant à l’exportation. Cependant, en beaucoup de pays, elle lui imprime un grand élan d’activité. Ainsi la culture du coton vaut pour la marine américaine toutes les mines et toutes les manufactures de l’Angleterre. Ailleurs la production du thé a fait de la Chine le centre d’importantes affaires commerciales. L’Aus-