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judiciaire, sur les principes les plus sages et les plus neufs pour le temps, le même édit supprimait la vénalité des charges, constituait la gratuité de la justice à tous ses degrés, et promettait un code uniforme pour toute la monarchie. Enfin, dans un dernier lit de justice tenu le 15 avril, en revendiquant pour lui seul la plénitude de l’autorité politique, le roi proclamait la séparation permanente du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif comme loi fondamentale du royaume, annonçant avec la plus entière confiance l’application complète et prochaine de ces principes et d’un ordre nouveau à toutes les provinces de la France. L’année 1771 n’était pas encore écoulée que la suppression des parlemens avait été consommée sans résistance, et que ces grands corps, l’appui et la terreur des rois, avaient disparu d’un sol auquel ils tenaient pourtant par de si profondes racines.

Le nouveau parlement, laborieusement recruté par Maupeou, était à tous égards fort inférieur à celui auquel il succédait sans le remplacer. Par une sorte d’application anticipée du principe démocratique, le chancelier avait substitué une magistrature besoigneuse et disciplinée au grand patriciat judiciaire, qui avait du moins des mœurs à la hauteur de son ambition. Il était donc naturel que ni les dédains ni les brocards ne manquassent à cette cohue d’hommes sans fortune et sans notabilité, auxquels la seule volonté d’un ministre mésestimé attribuait un pouvoir qui représentait pour leurs prédécesseurs une large part dans un grand patrimoine. Il y eut donc émeute de palais, émeute muette toutefois, et qui dès lors ne pouvait être de longue durée en pareil lieu. Des avocats aux procureurs, tout le monde commença par faire défaut et par se taire ; mais la phase du silence et d’une ruineuse inactivité fut courte, et n’inspira jamais la plus légère inquiétude au chancelier sur le succès définitif de ses mesures.

Ce serait en effet se tromper gravement que de nier la pleine réussite du coup d’état et de la réforme judiciaire opérés en 1771. Sans servir aucunement la cause de l’autorité royale, en compromettant au contraire celle-ci, comme on va le voir, cette réforme porta aux antiques institutions de la monarchie et aux grandes existences parlementaires qui en étaient demeurées les plus solides supports un coup dont ni les unes ni les autres n’étaient plus destinées à se relever. L’enthousiasme d’un jour qui, à l’avènement du roi Louis XVI, accueillit la restauration des anciens parlemens ne signala point un retour de la confiance publique, et ne rendit pas à ces compagnies souveraines, naguère si respectées, une force morale qui s’en était pour jamais retirée. Ce que la nation salua dans la déclaration du 12 novembre 1774, ce fut moins la condamnation de l’œuvre de Maupeou que le désaveu du despotisme brutal avec